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La nuit la plus courte


photo : scotthuckphoto (Flicker)

A mon réveil, je songeais a cette recommandation de Jacques Chardonne a son cadet et ami d’alors, Roger Nimier : « Écrire peu. Dormir beaucoup », recommandation que j’ai suivie à la lettre. Cette dernière nuit, pourtant, a été brève. Pendant que je dinais dans un restaurant chinois avec un ami − nous parlions de l’importance des perversions dans le développement intellectuel −, je sentais mon portable vibrer dans ma poche. Je savais qui m’envoyait des SMS et je pressentais que la nuit, en dépit de la canicule, serait brève. Je savais aussi que j’hésiterais à rejoindre dans son studio cette femme dont l’image me poursuivait depuis des années. Je savais, bien sûr, qu’au dernier instant elle me téléphonerait pour me dire qu’il était tard, qu’elle était déjà assoupie, qu’il valait mieux remettre à demain… Plus elle me dissuaderait, plus ma résolution serait inébranlable.

Tout se passa comme prévu[access capability= »lire_inedits »] : elle m’accueillit dévêtue, m’enleva aussitôt ma chemise, se serra contre moi. Les années avaient passé, mais elle demeurait à mes yeux, ce sweet yellow bird, cette adolescente délurée qui entrait et sortait de ma vie avec une désinvolture et une grâce qui m’amenaient parfois à penser qu’elle aurait pu être, qu’elle était sans doute la ≪ femme de ma vie ≫, expression stupide qui signifiait que, quoi qu’il arrive, je n’aurais jamais cessé de la désirer.

L’amour, une duperie réciproque

Plus rien n’importait maintenant que la douceur complice de nos étreintes, la chaleur étouffante s’accordait à la transpiration de nos corps. Nous nous buvions littéralement l’un l’autre. Lorsqu’elle s’endormit − et je ne connais pas de spectacle plus émouvant que celui d’une femme qui, après s’être abandonnée a son amant, glisse dans le sommeil –, je me rhabillai et regagnai mon antre de la rue Oudinot.

Rien ne s’était passe que je n’attendisse, mais j’éprouvais un tel bonheur a avoir une fois encore, et peut-être pour la dernière fois, perçu à travers les vibrations de La nuit la plus courte son corps l’offrande de son âme, que j’en oubliai ma fatigue. Quoi qu’il arrive, elle avait été, elle était, elle serait à moi. Nous n’avions pas pris la moindre précaution… elle par amour, moi parce que j’étais persuade que je ne ferais pas de vieux os. Nous étions le 28 juin. Le 22 septembre, j’atteindrai mes 70 ans. Je ne jugeais pas très fortiche de dépasser cette échéance.

Pénétrer, même à pas de loup, dans cette contrée qu’on appelle la vieillesse et où il n’y a plus rien a attendre, sinon quelques humiliations inédites et le bon vouloir de l’ange de la mort, me tentait modérément. « Dormir beaucoup. Écrire peu. » Le lecteur me pardonnera d’avoir fait exactement le contraire. Mais il fallait bien commencer ce journal d’un nihiliste heureux par le récit de cette nuit invraisemblable et pourtant véridique. Invraisemblable, car rien n’est plus contraire à mon caractère qu’un amour aussi violent après un quart de siècle. Et véridique, car mon parti-pris quand j’écris est de rendre compte avec le plus de précision possible ce que j’ai réellement vécu. A quoi bon d’ailleurs écrire, si c’est pour travestir ses sentiments et tromper son monde ? Ce que j’ai vécu cette nuit du 28 juin est peut-être insignifiant, mais le coucher sur le papier prolonge mon plaisir, même si par ailleurs j’ai la certitude que l’amour est une duperie réciproque. La volupté, elle, en revanche, ne trompe jamais.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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