Avec Rome ou Babel, Laurent Dandrieu, rédacteur en chef culture de Valeurs actuelles, signe un revigorant essai sur l’universalisme catholique qui, contrairement à l’impression que donnent certains prélats, ne correspond pas du tout à l’idéologie sans-frontiériste.
« Parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l’homme ». Cette phrase n’est pas du pape François mais de Jean Paul II. Prononcée en 1970, elle place l’Autre sur un piédestal. Un demi-siècle plus tard, le pape François parachèvera la sanctification de la figure du migrant en faisant installer au Vatican, le 19 décembre 2019, une grande croix où un gilet de sauvetage de migrant remplace la figure du Christ.
Universalisme ne rime pas avec mondialisme
Sous l’impulsion du pape François, l’Europe semble sommée de mettre entre parenthèses ses racines chrétiennes pour mieux s’impliquer dans l’accueil de l’Autre ; lequel, quelle que soit sa culture ou sa religion, incarne la voie de la rédemption. C’est oublier que la religion n’est pas qu’une affaire de foi individuelle mais que « l’homme religieux est aussi un animal social », souligne Laurent Dandrieu.
Que l’on ne s’y trompe pas, Rome ou Babel n’est pas un essai mu par la crainte d’un remplacement de population en France, mais s’attelle à démontrer en quoi le grand mouvement d’uniformisation du monde – sur lequel s’accordent à merveille le MEDEF et les sans-frontiéristes – est contraire à l’essence même de l’Église.
Si le christianisme transcende les nations, il n’appartient pas à l’homme de vouloir abolir les frontières, qu’elles soient physiques ou culturelles : « Les principes communs de la loi naturelle ne peuvent être appliqués à tous d’une façon uniforme, en raison de l’extrême variété des choses humaines ; et de là provient la diversité des législations chez les peuples », notait déjà Thomas d’Aquin.
Rappelons-nous de la tour de Babel
« L’homme ne peut absolument pas faire advenir par lui-même l’unité du monde », résumera le pape Benoît XVI huit siècles plus tard. Depuis qu’il a été dispersé en peuples et nations, le genre humain est voué au temps des nations. Par conséquent, « toute tentative humaine de dépasser cette division, assimilable à un péché d’orgueil, est vouée à l’échec », analyse Laurent Dandrieu, qui n’a pas oublié laleçon de l’épisode biblique de la tour de Babel.
Si l’universalisme ne se trouve ni parmi les thuriféraires du multiculturalisme ou de Terra Nova, ni en Grèce, ni ailleurs, il se trouve en revanche à Rome. « Au rebours du sentiment de supériorité de l’héllenisme, écrit Laurent Dandrieu, le génie de Rome, rejoint dans ce sens en cours de route par la culture chrétienne, a été de s’incorporer de tout ce qu’elle trouvait d’admirable dans les peuples conquis pour l’incorporer dans la romanité ».
Néanmoins, si une culture nationale ne saurait rester sourde au monde qui l’entoure, les influences extérieures ne doivent nullement se faire au mépris de l’enracinement. « Un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense », nous prévenait déjà la philosophe Simone Weil, que Laurent Dandrieu cite volontiers dans Rome ou Babel.
Rendre grâce à l’identité nationale
À l’heure où l’identité nationale est désignée comme le péché sans rémission, où l’épithète « identitaire » – du moins quand il concerne les Français de souche – est le vecteur de tous les maux (la « droite identitaire », la « mouvance identitaire », la « menace identitaire », la «tenaille identitaire», etc.), Laurent Dandrieu nous invite à dépasser cette opposition puérile entre universalisme et identité nationale, et expose en quoi, à la manière de Rome, le christianisme s’est toujours soucié – bien avant l’ANC de l’Afrique du Sud, qui en fera son slogan – de promouvoir « l’unité dans la diversité ».
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La diversité au sens noble, l’Église y veille. Quand Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix en 1992, égérie de la cause des Mayas du Guatemala, fut contrainte de s’exiler au Chiapas mexicain, c’est bien un évêque catholique, Samuel Ruiz, qui lui offrit l’asile dans sa paroisse. Avant, bien avant, c’est encore un homme d’Église, Bartolomé de Las Casas, qui prit fait et cause pour les Indiens d’Amérique. Le catholicisme n’a pas à rougir de son passé en Amérique, Rigoberta Menchú n’a d’ailleurs jamais remis en cause son héritage catholique.
« Le christianisme à toujours veillé à articuler sa vocation universaliste avec les particularismes locaux », et a notamment, « malgré certaines tentations d’intolérance sporadique ici ou là, proféré le plus grand respect pour la culture antique, y compris dans sa dimension païenne », souligne pour sa part Laurent Dandrieu. Par conséquent, et ceci malgré une idée bien ancrée en Europe de l’Ouest à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la notion de patrie ne s’oppose pas à l’universalisme chrétien.
La France, fille aînée de l’Église
Les patries ont-elles une âme ? La question est posée. Désormais la France compte seulement 2% de catholiques pratiquants réguliers (oui, 2%…). Lors de la lecture de ce livre, je me trouve au Salvador où le contraste avec la France déchristianisée est absolument flagrant. Tandis que nos églises sont désertées (ou mises à sac), la cathédrale de San Salvador est pleine à craquer (oui, à craquer) dimanche matin.
« Dios, amor et patria » (Dieu, amour et patrie). Une devise qui accompagne nombre de drapeaux nationaux au Salvador. Trois mots accolés qui prennent tout leur sens à la lecture de Rome ou Babel. Une foi catholique pleinement ancrée dans la nation salvadorienne même. « S’ils me tuent, je ressusciterai dans le cœur du peuple salvadorien », prophétisait en 1980 l’archevêque Romero, quelques jours avant d’être assassiné. En parlant de « peuple salvadorien » et non de « catholiques », lui- même ne s’y était pas trompé : l’universalisme catholique n’est pas contraire à l’idée de nation.
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En France, la situation est fort différente. En perdition, le catholicisme semble en bonne voie d’être supplanté, dans un futur pas si lointain, par un islam en pleine conquête. Ne succombant pas à la tentation du déclinisme, Laurent Dandrieu préfère se pencher sur « les signes de sa vitalité résiduelle ». Après avoir rappelé que 50 % des Français se disent encore catholiques, il souligne qu’« un quart des quelques six cent saints qui sont aujourd’hui reconnus par l’Église sont Français ». Sur les murs de n’importe quelle église d’Amérique centrale, des saints Français sont présents, en effet.
Preuve s’il en fallait que la France est encore la fille aînée de l’Église, et que c’est en sauvant les racines chrétiennes de la France que l’on pourra sauver l’universalisme.
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