Passionnée de musique classique et d’opéra, la comédienne Julie Depardieu fréquente assidûment et admire cet univers. De 2017 à 2019, elle tient même une chronique hebdomadaire sur France Musique. Pour elle, cet art est le seul capable de provoquer la sidération.
Il n’est pas rare de voir passer, dans les rues de Paris, Julie Depardieu sur son scooter, musique à fond. Dans son sillage, on entend Verdi, Mozart, Chopin, Berlioz ! Elle court les concerts, les opéras, suit les chanteurs. Son Dieu ? Roberto Alagna, pour qui elle a voyagé dans le monde entier. Julie Depardieu n’imagine pas sa vie sans musique. En septembre dernier, nous nous croisons lors des essayages costumes pour le film qu’Arielle Dombasle s’apprête à réaliser. Julie est fatiguée de cette séance qui dure depuis plusieurs heures, la bonne humeur n’est pas vraiment au rendez-vous. Soudain, elle sort sa radio portative, le Prélude à l’après-midi d’un faune retentit. Coiffeuses, habilleuses, comédiens, tout le monde se tait. Et, comme par miracle, l’impatience et l’agacement de Julie s’estompent, la musique vient tout apaiser, elle retrouve le sourire. Des ailes lui poussent dans le dos, elle vole ! Cette radio portative, combien de fois l’ai-je entendue diffuser de la musique – de la grande musique, enfin de la musique quoi ! – autour de Julie, sur un trottoir, dans des cafés, dans sa loge de théâtre…
Pour cette interview musicale, c’est au Zimmer que Julie me rejoint, en scooter, Carmen à fond !
CAUSEUR. Comment avez-vous « rencontré » la musique ?
JULIE DEPARDIEU. J’avais 14 ou 15 ans. Un jour, je rentre de l’école un peu énervée. C’était la période de Noël et j’avais horreur de ça. Les dîners en famille obligatoires où tout le monde boit un verre de trop et où tout le monde s’insulte avant même d’avoir ouvert les cadeaux, non merci ! Et ce jour-là, donc, ma mère me dit : « Julie, il est 16 heures. Tout à l’heure tu m’aideras à mettre la table et à tout installer pour ce soir. Il est encore tôt, mais je te préviens. » Je n’avais évidemment aucune envie de le faire. En attendant, je traîne dans ma chambre, j’ouvre mon courrier. Je vois une espèce de lettre de catalogue par correspondance. C’était écrit quelque chose du genre : « Mademoiselle, pour Noël vous avez gagné un cadeau… » J’ouvre, c’était un CD : « Les Trésors de l’opéra ». Là, je me dis qu’ils sont quand même gonflés… qu’ils pourraient se renseigner sur l’âge de leurs clients… Je n’en avais rien à faire de l’opéra ! Ça ne m’intéressait pas du tout ! Ma mère m’appelle pour dresser la table et moi, pour gagner du temps, je mets ce disque dans ma chaîne hi-fi. Et pour gagner encore plus de temps, je commence à l’écouter. Plage 1, bof. Plage 2, bon. Arrive la plage 3 et c’est la sidération ! C’était l’air « Là ci darem la mano », dans Don Giovanni, chanté par Teresa Berganza et Ruggero Raimondi. Je m’en souviens encore. C’était un bouleversement, un chamboulement total. Une révolution ! C’était beaucoup plus fort que toutes les autres musiques que j’avais écoutées jusque-là. Du jour au lendemain, j’ai arrêté d’écouter AC/DC. L’immensité de l’opéra m’obsédait. Je voulais prolonger cette sensation incroyable que j’avais eue en écoutant cet air de Mozart. Je me suis mise à hanter les rayons de la FNAC, j’avais l’impression d’avoir découvert un trésor inépuisable. J’ai commencé par Callas, tout Callas. Ensuite, tous les compositeurs italiens, après, les Allemands, et enfin les Français. Mais il me reste encore tellement de choses à expérimenter…
Outre le plaisir de l’écoute, que vous a apporté la musique ?
L’espoir ! L’espoir en l’homme. Se dire qu’un homme qui compose sera ensuite entouré de tant d’autres qui vont l’interpréter ensemble… c’est bouleversant. Que font-ils, la plupart du temps, quand ils sont ensemble, les humains ? Pas grand-chose d’intéressant ! Là, c’est l’espoir total. C’est la possibilité d’une chose plus grande que nous et qui, finalement, est à notre portée, à condition de le vouloir. C’est aussi l’espoir de vivre un grand moment en allant au concert. Ça n’arrive pas à chaque fois mais on l’espère tellement, ce moment de grâce, ce frisson, cette beauté qui nous déchire et nous fait monter les larmes aux yeux… rien que cet espoir de quelque chose qui relève presque du miracle, c’est merveilleux.
Ce moment de grâce est notamment le fruit de l’ordre, de la hiérarchie, de la discipline, du travail acharné. Autant de valeurs qui ne sont plus tellement au goût du jour…
Évidemment ! Ce qui est beau, c’est justement le rôle essentiel de l’ordre et de la hiérarchie, mais aussi celui de chaque musicien – même celui qui joue du triangle au fond apporte quelque chose à cette montagne qu’est l’œuvre. Pour que celle-ci puisse rayonner, il faut que tout soit en ordre, que tout le monde soit à sa place et fasse précisément et passionnément ce qu’il a à faire.
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Pensez-vous que ce sont la difficulté technique surmontée, la virtuosité, qui amènent l’émotion ?
En partie, bien sûr. La performance technique, la bataille face à la difficulté me touchent beaucoup. Et pour les chanteurs, c’est terrible. Ils savent que tout le public attend le moment difficile techniquement, la note compliquée à atteindre. Ils doivent tout donner pour triompher des pièges que peut tendre la partition et en sortir vainqueurs. J’éprouve même un certain plaisir – ou de l’admiration – à voir les chanteurs lutter. J’aime voir cette difficulté, ce combat contre ses propres limites. Voir des hommes et des femmes se surpasser, accomplir des prouesses quasi surhumaines, c’est ce qui peut faire d’eux des demi-dieux.
Chaque compositeur vous a-t-il apporté quelque chose de particulier ?
Chacun m’a révélé quelque chose. Si j’éprouve des émotions jusque-là jamais éprouvées en les écoutant, c’est que je les avais en moi sans le savoir. Nous les avons tous en nous, mais les grands compositeurs viennent nous les révéler. C’est presque une libération. Surtout lorsqu’on se rend compte qu’on aurait pu passer à côté ! Un grand compositeur fait miraculeusement raisonner une partie de nous-mêmes que nous ne soupçonnions pas. Lorsqu’on découvre ça, on vit des instants bénis, et je suis heureuse de pouvoir les vivre. C’est aussi un antidépresseur, je me dis : Regarde ce qui existe ! Regarde la beauté ! Le quotidien est assez minable, mais la grandeur exceptionnelle existe ! C’est possible ! Toutes les larmes que j’ai versées sur Berlioz, sur Verdi, sur Fauré, sur Mahler, sur Beethoven… ce sont les plus beaux moments de ma vie.
Vous croyez en Dieu ?
La question de Dieu, dans une musique si vertigineuse, se pose évidemment. Oui… je crois en quelque chose de supérieur, en une puissance. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse alors que j’en avais demandé une à mes parents ! Je voulais aller au catéchisme, mais ça n’était pas leur truc. Avec la musique, je crois que j’ai trouvé ce que je cherchais lorsque je voulais aller au catéchisme. Quand j’écoute Beethoven, je me dis que c’est la certitude que Dieu existe. Victor Hugo a écrit : « Ce sourd entendait l’infini… » Il a en effet composé ses plus grandes œuvres à partir du moment où il n’entendait plus ! C’est tout de même mystérieux, non ?
La musique a un pouvoir indéniable sur les êtres. Elle vient combler, elle vient guérir. Sur moi, par exemple, elle a un effet thérapeutique très puissant. Même dans les élevages, on diffuse de la musique classique aux animaux pour qu’ils soient détendus ! Quand je pars de chez moi, je laisse toujours la radio pour le chien. Je mets des stations allemandes ou scandinaves de musique classique. Cette pauvre Zouzou… elle ne doit rien comprendre à toutes ces pubs… moi non plus d’ailleurs. C’est ce que j’apprécie : au moins, en allemand, je ne les comprends pas.
N’auriez-vous pas aimé être chanteuse ou musicienne ?
J’y ai évidemment pensé. Mais je n’aurais peut-être pas été assez travailleuse pour ça, ni assez humble. Parce qu’il faut beaucoup travailler, répéter, répéter, répéter… endurer que ça soit moche, encore moche et encore moche. Jusqu’au moment où ça peut commencer, peut-être, à devenir un peu beau… Et j’aurais peut-être été trop orgueilleuse pour supporter la laideur trop longtemps. Les grands musiciens, les grands chanteurs, les grands compositeurs sont des travailleurs acharnés, ce sont des héros du labeur. Et ça, ce n’est pas à la portée de tout le monde non plus, pas plus que le génie.
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Pourquoi écoutez-vous de la musique avec une petite enceinte, non avec des écouteurs ?
Je déteste les écouteurs ! Même dans le train, parfois, je mets la musique tout doucement, en cachette, et je colle mon oreille contre le téléphone…Mais les écouteurs, non ! Je n’aime pas m’enfermer, ça m’angoisse. Avec moi, il faut toujours que tout le monde en profite ! Si j’étais dictateur, je mettrais dans toutes les rues des haut-parleurs pour diffuser de la musique. Mais pas n’importe laquelle, de la grande musique… Mozart, Beethoven, Tchaïkovski ! Heureusement que je ne suis pas une femme d’État, sinon je serais tyrannique, je dirais : Ça non ! Ça oui ! (rires)
Vous n’avez aucun problème à faire une hiérarchie entre « les » musiques ?
Non, aucun. Je pense que la musique classique est plus grande, qu’elle mène vers quelque chose de divin. Et on ne peut pas dire ça de toutes les musiques… C’est en tout cas ce que je pense, c’est la révélation que j’ai eue.
La question de Rudy Ricciotti
Je crois que la musique a cet intérêt de rendre les mots autistes ! Comment réagissez-vous à cette affirmation ?
Entièrement d’accord ! Quand je dis que cela nous révèle quelque chose qu’on ignorait… c’est un peu cela. La musique vient libérer quelque chose que l’on n’arrivait pas à formuler avec des mots. Et c’est sous la forme musicale que cela vient nous submerger et libérer une émotion qui était enfouie en nous. Souvent, on ne trouve pas les mots pour décrire cette musique qui nous renverse. D’ailleurs, Victor Hugo, encore lui, a écrit, concernant Beethoven : « Cette étrange musique est une dilatation de l’âme dans l’inexprimable. » Il a aussi écrit : « Cet être qui ne perçoit pas la parole engendre le chant. » Moi, face à la musique, je suis presque dans un état d’inconscience… c’est l’extase. C’est la sidération.