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La Muraymania, ça suffit !


La Muraymania, ça suffit !

Philippe Muray

Depuis janvier 2010, c’est-à-dire depuis exactement cinq ans, Philippe Muray est partout. « Je suis partout » est devenu sa seconde nature – et c’est sans surprise. Depuis cinq ans, un déluge sans précédent de pensée moisie s’est abattu sur la France. Qui se souvient encore du sarkozysme et de sa droite moderniste et hyperfestive ? Depuis cinq ans, la pensée unique n’a plus qu’une seule voix : celle de Philippe Muray. La contagion surréaliste de l’entre-deux-guerres ou la frénésie existentialiste d’après-guerre nous paraissent à présent des phénomènes culturels bien timorés, au regard de l’ampleur de l’ouragan murayien qui a dévasté la France.

Le visage de Philippe Muray est sur tous les tee-shirts, sur tous les porte-clefs amusants, en fond d’écran sur tous les Zaïpodes et tous les Zipades. C’est encore lui qui ricane au fond de toutes les boules à neige. Muray est partout : tous nos enfants apprennent par cœur à l’école Tombeau pour une touriste innocente, qu’ils nous récitent en riant à Noël. Muray est dans l’annuaire, dans le Lagarde et Michard, dans tous les menus au restaurant, à la télé, à l’opéra, au théâtre, dans toutes les expos et jusque dans les replis nostalgiques de la moindre performance d’art post-contemporain.[access capability= »lire_inedits »]

La France a indubitablement changé de visage depuis que la pyramide du Louvre, symbole de l’esprit des Lumières, a été détruite et remplacée par cette gigantesque statue de la tête de Muray fumant un cigare et affublé des oreilles de Mickey – comme celui-ci en arbora réellement le jour où il se rendit à Eurodisney –, réalisée par un éminent plasticien saoudien. Muray est partout : depuis cinq ans, tous les nouveau-nés s’appellent Philippe, Festif ou Festyves. Et quel sera bientôt, à coup sûr, le jeu vidéo préféré des petits Festif et des petites Festève ? Festivisator, évidemment, dans lequel l’effigie électronique de Philippe Muray traque des Panurgian mutans et les massacre en leur jetant des livres de Céline ou de Léon Bloy qui se transforment en boules de feu.

Le café gay le plus « trendy » s’appelle l’HOMO-Festivus

Muray est la coqueluche de tous les rappeurs, de tous les coiffeurs, de tous les restaurateurs. Les estivants lisent tous Muray sur la plage et il suffit qu’ils lèvent la tête pour qu’ils déchiffrent des citations de Muray sur les banderoles tirées par les avions. Muray est dans toutes les pages people, sur CNN et sur Al-Jazira, dans toutes les musiques d’attente téléphonique. Dans le Marais, le café gay le plus trendy du moment est l’HOMO-Festivus. Les cours d’histoire sont désormais complétés par des cours de post-histoire, dispensés par les néo-hussards noirs du murayisme. Enfin, Muray a même conquis nos raves. Depuis quatre étés, la techno antifestive fait fureur. Le principe de la danse techno y subsiste, mais désormais la frénésie extatique des corps s’y déploie jusqu’au petit matin dans un abyssal silence. La techno de notre temps est une techno sans musique, sans beat, sans rien.

En cinq ans, la mafia murayienne s’est infiltrée partout, elle aussi. Vous apercevez une ombre ricanante en train de tirer les ficelles en coulisses ? Vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un murayien. Anne Sefrioui, la veuve de Philippe Muray, dirige désormais Le Monde des livres. Elisabeth Lévy présente depuis trois ans le « 20 heures » sur France 2, de sa voix criarde et dérapante. Michel Desgranges, l’éditeur de Muray aux Belles Lettres, plastronne à la tête de Gallimard, qui prépare les sept pléiades du Journal de Muray et un huitième tome consacré à ses listes de courses. La direction du Monde est tombée entre les mains de son ami Philippe Delaroche. Enfin, chacun sait que notre actuel ministre de la Culture, le terrifiant Georges Liébert, était lui aussi l’éditeur et l’ami de Philippe Muray. Quant à la loi de pénalisation du festivisme, votée à l’unanimité en mai 2012, chacun a pu en constater le caractère liberticide et les effets dévastateurs. La renaissance actuelle du bal-musette dans nos banlieues suffit à démontrer son caractère profondément réactionnaire. Je ne dirai rien de la liaison obscure qui s’est opérée depuis deux ans entre l’islamisme et le murayisme. Depuis que Ben Laden a cité abondamment Muray en français dans sa vidéo de septembre 2013, on sait que l’ouvrage de Philippe Muray Chers djihadistes est désormais étudié et appris par cœur partout dans le monde dans les écoles coraniques d’obédience extrémiste.

Depuis le bannissement de Philippe Sollers sur l’île d’Elbe en avril 2011, tous les ennemis de Philippe Muray vivent dans la terreur. Jacques Henric et Catherine Millet se sont exilés en Patagonie, Scarpetta en Laponie et Daniel Lindenberg en Malaisie – où il est mort dans des conditions affreuses, des suites de l’infection d’une morsure d’orang-outang. Quant à la fin tragique d’Arnaud Viviant, suicidé par auto-crucifixion à un ginkgo biloba, chacun s’en souvient encore avec tristesse et horreur.

Avec le monopole intellectuel de la gauche, c’est la démocratie qu’on assassine

En dépit de tout, certains esprits grincheux osent encore affirmer que la démocratie n’est pas en danger. Pourtant, c’est le fondement même de la démocratie qui a été réduit en poussière : le monopole absolu de la gauche dans le monde intellectuel, à l’école et dans les médias. Le droit naturel, le droit de sang, le droit divin de la gauche à débattre a été confisqué par une horde de roquets aux ordres. Le plus atterrant est que ce sont eux qui prétendent désormais donner à la gauche des leçons de pluralisme. Comme si la gauche n’avait pas toujours été l’essence du pluralisme ! Les nouveaux nazis grincheux pluralistes qui sont à nos fenêtres et parfois à nos portes ont sapé méthodiquement – et parfois dans le désordre – le droit inaliénable et dérangeant de la gauche au monopole du pluralisme. Pourtant, qui peut prendre au sérieux des pluralistes en bottes brunes qui brandissent haut la main le petit livre bleu (leur trop fameux Après l’Histoire) et dont tous les principes se résument en vérité à un seul : le Führerprinzip. Celui-ci se nomme désormais Philippe Muray.

En défendant ici solennellement la nécessité démocratique de voir la gauche recouvrer son monopole sur le pluralisme, la morale et la pensée, je ne refuse nullement tout droit de cité à la droite, comme le prétendent certains. La droite a un droit plein et entier à l’existence, du moment qu’elle se maintient à l’intérieur des frontières de ses propres monopoles légitimes, qui font la singularité respectable de sa tradition : la méchanceté, la bêtise, l’obéissance, l’ignorance, la moisissure, la nostalgie frelatée et l’intolérance.[/access]

Septembre 2010 · N° 27

Article extrait du Magazine Causeur



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