Jeter en prison Roman Polanski, âgé de 76 ans, est un acte abject. Le plus angoissant, cependant, dans notre présent, demeure la banalité que semble désormais revêtir une telle abjection.
Comme Milan Kundera l’avait superbement mis en lumière, dès 1993, dans Les Testaments trahis, le règne de « l’esprit du tribunal » ne s’est pas éteint avec la fin du nazisme et du stalinisme. Le tribunal démocratique et médiatique ne vise certes plus (du moins pas directement) la liquidation physique de ceux dont il instruit le procès. Il se cantonne humblement à la destruction symbolique totale de ses victimes sacrificielles. Par sa haine de la complexité et sa négation forcenée de la sphère privée, le tribunal démocratiste s’inscrit très fidèlement dans la continuité du monde totalitaire.
[access capability= »lire_inedits »]Pour rejeter un être en dehors du monde humain, la prédilection du tribunal post-historique semble se porter pour l’essentiel vers trois chefs d’accusation dont son enthousiasme morbide semble ne jamais devoir se lasser : la pédophilie, le racisme et l’accointance totalitaire. Dans ces trois cas, le tribunal ne s’attache que très exceptionnellement à établir des faits. Les faits l’ennuient à mourir. Seule la personnalité de ses victimes l’intéresse. Le tribunal brûle d’une ardente passion pour l’intériorité de ses victimes. Il collectionne avec ferveur et patience les détails les plus insignifiants, dans lesquels il décèle invariablement les signes d’une subjectivité maléfique (pédophile, raciste, totalitaire).
Sa perversion redoutable tient en outre au fait qu’il incite puissamment ceux qui souhaitent prendre la défense de ses victimes à violer elles aussi, à leur tour, l’intimité de l’être qu’il a décidé d’exposer à tous, béant comme un quartier de viande. Il oblige même ses adversaires à entrer dans la viande de ses victimes.
Les prétendues « affaires » Polanski et Mitterrand devraient bien plutôt porter le nom des êtres répugnants qui les ont déclenchées, car ce sont ces noms-là qui appellent la honte. Elles s’inscrivent dans cette longue histoire du ressentiment actif et malfaisant. Toutes deux usent la corde éculée de la « pédophilie ». Cependant, une question demeure. Comment le tribunal post-historique choisit-il ses victimes ? Deux critères paraissent insistants : la célébrité, d’une part ; le fait, d’autre part, d’être dans sa chair un homme de l’ancien monde historique. Roman Polanski et Frédéric Mitterrand ont la malchance de satisfaire à ces deux critères.
Avec Internet, le tribunal a pu s’étendre et se « démocratiser » dans des proportions nouvelles. Le déchaînement du ressentiment contre les hommes d’exception, les hommes libres, les hommes coupables, les hommes à l’ancienne, n’y connaît plus de limites. Le réseau mondial du flicage et de la haine s’étend.
Ainsi triomphe sinistrement la meute sadique des « innocents ».[/access]
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