Nous sommes tiraillés entre le besoin de retourner à la vie d’avant-Covid et l’espoir de créer un monde nouveau, plus citoyen, plus écologique, plus sécurisé. L’obsession de la santé finit par nous aliéner.
Plus le temps passe depuis le début de la crise sanitaire, et moins l’on comprend ce que pourrait bien vouloir dire un « retour à la vie normale », jugé d’ailleurs impossible par les uns et malvenu par d’autres, mais souhaité par la grande majorité de nos concitoyens. Tout le monde s’accorde à peu près sur la nécessité de retrouver au plus vite quelques gestes fondamentaux : circuler librement, reprendre ses activités sans trop de stress, pouvoir s’embrasser comme avant et boire un verre en terrasse… mais on commence à s’apercevoir que la normalité prêtée à la « vie d’avant » tenait pour une bonne part son aura de la privation qu’on en a eue, et sans doute aussi de la colère de l’avoir perdue pour un motif aussi dérisoire qu’un virus suffisamment vicieux pour dédaigner les poumons blindés de nicotine des fumeurs et s’attaquer à ceux des plus vertueux !
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Vivions-nous normalement avant ?
Plus la disproportion devient flagrante entre l’insignifiance de cet agent provocateur et l’ampleur de la catastrophe économique et sanitaire, plus on est tenté de se dire qu’en effet la vie normale était celle d’avant qu’il faut à tout prix retrouver, et qu’il n’y a aucune leçon à tirer de ce qui n’est qu’un accident, une erreur d’aiguillage que les experts, les scientifiques vont tôt ou tard corriger. Passéistes comme progressistes seraient même prêts à s’accorder sur le fait que vaincre le virus est une priorité qui éclipse temporairement toute autre considération sur les bienfaits ou méfaits de l’avant, les cafouillages du présent et l’incertitude de l’avenir. On laissera donc à quelques illuminés la tâche de faire de la pandémie l’annonciatrice du Grand Soir ou l’émissaire d’une écocitoyenneté enfin responsable. D’ailleurs, quel nouveau modèle pourrait-on bien proposer à des concitoyens épuisés, désabusés, sidérés d’avoir dû accepter sans broncher
