Vous avez jusqu’au 28 mai pour découvrir le peintre et sculpteur Augustin Frison-Roche. Les œuvres de cet artiste talentueux de 35 ans sont actuellement exposées à la Galerie Guillaume dans le 8e arrondissement de Paris. Une trentaine de tableaux, peints à l’huile sur bois, sur lesquels monde végétal et animal s’entremêlent…
Les tableaux d’Augustin Frison-Roche nous plongent dans le monde des contes, des miniatures médiévales et des saints du même métal, où les loups qui nous regardent calmement se détachent sur un fond d’or juste un peu éteint, comme il sied aux apparitions mystiques et aux tableaux des primitifs français, Jean Malouel ou Henri Bellechose.
De tableaux en tableaux, parfois groupés en diptyques et triptyques, on évolue dans un monde tout à la fois schématique et vivant. Un monde encodé, avec un répertoire nombreux mais volontairement symbolisé, où les feuilles se dupliquent les unes les autres, où les branchages se répètent d’un panneau à l’autre (toutes les œuvres sont des huiles sur bois), les touffes d’herbe se miment, où on croit deviner l’utilisation de pochoirs ; un monde palimpseste, aussi, qui fond différents plans, amène le lion et l’antilope au cœur de forêts françaises, plaque des arabesques feuillues sur une silhouette de hibou et promène un motif emprunté à Bosch sur des buissons du XVe alors que le ciel est d’un rouge profond.
On est sous le charme de contes dont on croit se souvenir, d’oiseaux dorés rapportés sur des forêts brumeuses, d’un rapace bicéphale échappé d’un blason et considérant attentivement le hallier où il s’est posé, et d’une civette qui nous regarde, perchée sur une branche qui se confond avec les arcades d’un cloître ouvrant sur la nuit.
Parfois le loup est translucide, comme la silhouette d’une constellation, fantôme hantant une forêt héraldique, elle-même atténuée, comme si le peintre condensait sur un seul tableau la succession des temps évanouis, grandes figures mythiques oubliées arpentant un Moyen Âge lui-même effacé. Augustin Frison-Roche contemple la nature et y voit, y entend tout ce qui l’animait, l’anime peut-être encore, cette épaisseur de la durée, cette présence invisible de tous ceux qui la contemplèrent avant lui et surent ou la peupler de figures rassurantes ou y deviner les grandes forces à l’œuvre – et sans doute la plus puissante, l’Être, Celui qui est et, de toute éternité, soutient le monde et toutes ses créatures dans l’existence.
Est-ce pour autant que ce peintre est métaphysique et qu’on est saisi du vertige de la fuite et de la disparition en contemplant ces bois harmonieux aux plans aménagés comme autant de décors théâtraux successifs et simultanés ? Non. Car Frison-Roche est moins nostalgique que sensible, insiste moins sur ce qui n’est plus qu’il n’invite à le redécouvrir. Ses tableaux sont comme un filtre de réalité augmentée aidant le spectateur à voir vraiment les paysages : le peintre les a contemplés pour lui, il y a décelé les traces discrètes qui y demeurent, il nous les manifeste, rend aux forêts les animaux qui les avaient désertées, aux forêts leur mystère et leur étendue, aux cieux leurs couleurs et leurs fonds d’or, qui ne sont pas qu’une citation médiévale mais la splendeur du vrai quand on arrive à la voir : et il nous aide à voir et à percevoir que ce que nous voyons est le fruit d’une longue histoire, commencée avant les Grecs et les latins, poursuivie par les chrétiens, patinée par chaque époque, jusqu’à cette expression contemporaine qui nous en apporte la quintessence et nous renvoie, libérés, refaire tous les chemins.
L’Or du soir. Augustin Frison-Roche. Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, jusqu’au 28 mai 2022. Joli catalogue aux éditions Klincksieck, avec un beau texte de Stéphane Barsacq.
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