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La Marge Brute d’Autofinancement, arbitre des programmes économiques 2024


La Marge Brute d’Autofinancement, arbitre des programmes économiques 2024
Eric Coquerel et Boris Vallaud du "Nouveau Front populaire" ont présenté des mesures économiques inquiétantes devant le MEDEF à Paris, 20 juin 2024 © Philemon Henry/SIPA

La marge brute d’autofinancement (MBA) des entreprises françaises s’est dégradée de façon lente mais inexorable depuis trois décennies, sous la pression fiscale et sociale publique. 1 000 milliards d’euros de décalage de production de richesse sur une décennie. C’est l’explication de l’insuffisance des moyens financiers des entreprises françaises par rapport aux entreprises allemandes pour financer leurs développements industriels, leurs développements commerciaux à l’exportation, le paiement de bonnes rémunérations à leurs salariés, la promotion de formations adaptées ainsi que le soutien de la recherche et de l’innovation du pays. C’est ainsi une des principales explications de la perte de compétitivité de la France et de la dégradation du pouvoir d’achat des Français. Les programmes économiques pour les élections législatives sont ici analysés sous le prisme de leur impact sur la MBA. Les conclusions sont claires et sans appel.


La MBA, un concept macro-économique peu glamour

MBA : Marge Brute d’Autofinancement des entreprises. Pas très glamour comme concept ! De plus, il s’agit d‘un agrégat de comptabilité nationale et non de comptabilité privée. Donc, encore plus incompréhensible pour le commun des mortels.
Les économistes attitrés – à part quelques individualités comme Christian Saint-Étienne, par ailleurs membre du shadow cabinet d’Éric Ciotti au temps où LR n’était pas encore éclaté – ne suivent pas vraiment cet agrégat économique. Il est proche de l’EBE (excédent brut d’exploitation) de la comptabilité privée, qui est lui même le presque équivalent du célèbre EBITDA anglo-saxon (Earnings Before Interest, Taxes, Amortization and Depreciation, cela ne s’invente pas) des business plans – plans d’affaires en bon français – qui ont envahi les sphères publiques et privées de notre pays.

La meilleure illustration du lent et inexorable déclin français

Pourtant, l’évolution de la MBA des entreprises françaises traduit et exprime le lent et inexorable déclin du pays depuis trois décennies. Personne n’en parle, sinon des structures d’analyse économique internationales confidentielles, dédiées aux grands investisseurs institutionnels, telles que celle de Charles Gave, dont les travaux sont mis en avant en France par l’Institut des Libertés. Analyses connues par quelques grands groupes français. Largement ignorées par la sphère publique.
Quels sont les enseignements de l’analyse de l’évolution de la MBA des entreprises françaises sur une longue période ?

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1 000 milliards d’euros d’appauvrissement sur une décennie

En premier lieu, la MBA des entreprises françaises a régressé de 18 % depuis 1990 (24 % du PIB en 1990, 19,7 % en 2023). Sur la base des données 2023, ceci représente 120 milliards d’euros en moins par an pour les entreprises françaises. Une paille. Au-delà de la brutalité de ces données quantitatives, ceci signifie que les entreprises françaises ont tout simplement perdu d’importantes capacités d’investir, d’innover, de rémunérer leurs salariés et de recruter, pour des raisons qui tiennent aux conditions économiques, fiscales et sociales propres à la France. Sur dix ans, ceci correspond à un décalage de richesse économique de plus de 1 000 milliards d’euros, soit un tiers de la dette publique ou encore, les deux-tiers des salaires français annuels.

Graphique: Institut des Libertés

Plus de 500 milliards d’euros annuels de moindre richesse par rapport à l’Allemagne

En second lieu, si l’on compare les évolutions de nos grands partenaires, la MBA annuelle des entreprises allemandes est passée de 22 % du PIB en 1990 à 24,9 % aujourd’hui, soit 1 026 milliards d’euros pour l’Allemagne contre 553 milliards d’euros pour la France, près de deux fois plus. Pour l’Italie, la MBA est passée de 24 % en 1990 à 20,5 % en 2013 puis est remontée à 25,4 % aujourd’hui, soit 530 milliards d’euros, une forme d’effet Draghi/Meloni. Ainsi, les entreprises italiennes enregistrent le même niveau de MBA en volume que les entreprises françaises ! Enfin, les chiffres des États-Unis donnent le vertige : de 16 % en 1990, la machine à produire de la richesse américaine propulse la MBA à 22,7 % du PIB aujourd’hui, soit 5 511 milliards d’euros, cinq fois plus que l’Allemagne, ce qui est en proportion des populations, mais 10 fois plus que la France. Nous touchons là la clé du problème français en matière de pouvoir d’achat, d’emploi, de compétitivité et de décalage technologique, corrélé avec la faible productivité française. Et aussi la problématique du PIB par habitant, où la France est  10 % en dessous de l’Allemagne et 39 % en dessous des États-Unis.

Graphiques: Institut des Libertés

La MBA explique le chômage incompressible français

En troisième lieu, il existe une corrélation entre l’évolution de la MBA et le chômage. Le graphique qui suit est éloquent. Il peut contribuer à l’explication d’un socle incompressible de chômage en France, à un niveau plus élevé que ses partenaires immédiats (France : 7,3 %, Allemagne : 3,2 %, Royaume-Uni : 4,3 %, Italie : 7,2 %, OCDE : 4,9 %, États-Unis : 3,8 % ; données OCDE mars 2024). Les économistes attitrés n’ont pas d’explications satisfaisantes, sinon d’indiquer que la formation professionnelle française n’est pas adaptée, ce qui est un peu court.

Graphique: Institut des Libertés

Le poids de l’État plombe le retour à la croissance

Enfin, et c’est l’enseignement le plus frappant, il existe une corrélation entre l’évolution de la MBA des entreprises et le niveau des prélèvements obligatoires, avec un impact négatif puissant sur la croissance. L’incorrigible propension française à créer des impôts et des ponctions sociales depuis quatre décennies, qui aboutit aujourd’hui à ce que le pays soit le plus imposé au monde, se traduit par une faiblesse structurelle des marges des entreprises. Les entreprises ne peuvent dès lors pas rémunérer et former correctement leurs salariés. Elles sous-investissent. La croissance est plombée par le poids de l’État dans l’économie, ce qui explique que la France se situe durablement sous son niveau de croissance naturelle. Georges Clémenceau ne disait-il pas déjà en 1886 : « La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts ».

Graphique: Institut des Libertés

Qui en parle ? Personne. Normal, la classe politique française n’est pas vraiment en mesure de se pencher sur les vrais sujets économiques, à l’exception de quelques personnalités de gauche et de droite qui se comptent sur les doigts d’une main.


Les programmes économiques 2024  à travers le prisme de la MBA

Les divers programmes économiques présentés lors des élections législatives de juin/juillet 2024 peuvent être utilement analysés selon cette grille de lecture de la MBA des entreprises.

Le Nouveau Front Populaire et le multiplicateur keynésien négatif

L’économiste Thomas Piketty © LCHAM/SIPA Numéro de reportage: 00684113_000001

Commençons par le Nouveau Front Populaire (NFP). Relance keynésienne, effet multiplicateur sur la croissance, SMIC à 1 600 € net par mois, ponctions sur les 223 milliards d’euros d’aides bénéficiant aux entreprises, 14 tranches d’impôt sur le revenu avec la quatorzième à 90 %, rétablissement d’un ISF dur à vocation climatique. Faire payer les riches et redistribuer aux pauvres. Quant à la dette publique, le stock n’est pas un problème « car, c’est bien connu, personne ne le rembourse ». Seule la charge d’intérêt, le flux donc, doit faire l’objet de vigilance. 125 milliards de dépenses supplémentaires entièrement compensés par des impôts supplémentaires, et, à terme, les retombées fiscales de la relance keynésienne. Il faut reconnaître une certaine cohérence intellectuelle à ce programme, préparé avec l’appui d’économistes stars (Thomas Piketty, Esther Duflo, Gabriel Zucman).
Une seule remarque : le multiplicateur keynésien devient négatif lorsque le niveau des prélèvements obligatoires dépasse un certain seuil. Et nous y sommes depuis 2009. C’est ce que Keynes – qui était un libéral et non un social-démocrate – appelait la trappe à dettes. Pour le dire différemment, les dépenses publiques sont entrées dans la zone des rendements décroissants.  Une forme d’externalité négative de la dépense publique.
Dès lors, le programme du NFP est inéluctablement voué à l’échec, avec la funeste conséquence d’un appauvrissement global du pays. Saluons à cet égard l’économiste Olivier Blanchard qui a su prendre ses distances avec ce programme.

Graphique: Institut des Libertés

La majorité présidentielle dans le bon sens mais un peu tard

Ensuite, le programme de la majorité présidentielle.
Il intègre la nécessité de faire baisser les prélèvements obligatoires et affiche une réduction programmée du déficit budgétaire et de la dette publique dans la durée. Aucun impôt supplémentaire. Baisse des impôts de production. Néanmoins, une maîtrise des dépenses publiques. Cela va évidemment dans le bon sens. Mais c’est un peu tard, après la génération de 900 milliards de dettes supplémentaires en sept ans.

Un RN prudent qui s’est converti au sérieux budgétaire

Enfin, le programme du RN. Remarquons d’abord que le cœur du programme économique de la présidentielle 2022 n’avait pas été affiché dans sa globalité en son temps, pour diverses raisons conjoncturelles (irruption d’Éric Zemmour en septembre 2021, campagne de Valérie Pécresse en décembre 2021, guerre en Ukraine en février 2022). La trajectoire des finances publiques y avait été planifiée sur 10 ans : déficit budgétaire primaire passant à zéro dès 2026, dette publique stabilisée jusqu’en 2027 puis décroissante en proportion du PIB à partir de 2028, baisse drastique des prélèvements obligatoires qui passent en dessous de la barre symbolique des 40 % du PIB en 2030.

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Aujourd’hui, deux ans plus tard, la situation de la France a changé, ce qu’attestent la dégradation de la notation financière française et la procédure pour déficit excessif lancée par la Commission européenne. Toutes les mesures « zakouskis » de la présidentielle ne sont dès lors plus à l’ordre du jour (exonération d’impôt sur le revenu et sur les sociétés pour les moins de trente ans,…). Seules subsistent des mesures majeures pour le pouvoir d’achat : baisse de la TVA sur les produits énergétiques et dispositif de soutien des augmentations de salaires supérieures ou égales à 10 %. Ces mesures, compensées sur un plan budgétaire, correspondent à des baisses de prélèvements obligatoires sans augmentation de la dette publique et vont dès lors  dans le bon sens, du point de vue de la grille d’analyse exposée ci-dessus. Et à n’en point douter, l’efficience relative des mesures sera prise en compte lors des arbitrages budgétaires opérationnels futurs…
À titre anecdotique, il est pour le moins notable que la proposition du RN d’exonération des cotisations patronales pour les augmentations salariales supérieures ou égales à 10 % (pour les salariés en-dessous de 3 fois le SMIC), est plus vertueuse que la prime Macron pouvant aller jusqu’à 10 000 € sans charges sociales : la mesure RN rapporte quand même les cotisations sociales employés, sans effet d’aubaine globalement, avec un choix de l’entreprise en fonction de ses capacités à conférer du pouvoir d’achat à ses salariés sans déstabiliser sa trésorerie (l’Institut Montaigne n’a pas, en l’espèce, correctement intégré les caractéristiques du dispositif pour établir son estimation de coût, à hauteur de 800 M€ par an) ; la prime Macron, quant à elle « one shot », se substitue à du salaire courant et donc coûte immédiatement les cotisations sociales non acquittées (2 milliards d’euros par an).

Un fonds souverain pour les investissements de bien commun qui permet de sortir de l’étau de la dette et du déficit

Enfin, les caractéristiques techniques du fonds souverain de 500 milliards d’euros, constitué progressivement sur cinq ans, annoncé à l’automne 2021, n’ont pas été dévoilées à ce stade. Notons simplement qu’il a vocation à financer les 100 milliards d’euros d’investissements annuels de bien commun (transition environnementale, infrastructures, innovation/recherche, fonds propres des PME) sans augmenter la dette publique et le déficit budgétaire. Avec l’effet d’un multiplicateur keynésien positif et non négatif, car sans augmentation des prélèvements obligatoires. Au bénéfice de la croissance française.
Espérons donc que les femmes et hommes politiques, quel que soit leur bord, intègrent à l’avenir les enseignements lumineux que les analyses de la MBA française et du multiplicateur keynésien effectif apportent à la définition d’une politique économique française pertinente.




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Physicien de formation, patron d’un fonds d’investissement dans les industries décarbonnées. Grand Prix de l’Investissement du Private Equity en 2010, pour une opération de consolidation mondiale dans le domaine de la logistique (1 050 M€). Ancien maître de conférences en économie, en préparation ENA à Sciences Po, assistant en économie quantitative à Centrale en son temps (la modélisation macro-économique…), Trésorien actif ayant fait partie des équipes maastrichiennes de Jean-Claude Trichet.

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