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«La Maman et la Putain»: réac et rétro

Jean Eustache, un cinéaste visionnaire à redécouvrir


«La Maman et la Putain»: réac et rétro
Le cinéaste Jean Eustache (1938-1981) © Les films du losange

La sortie en salle en juin dans une version remasterisée de «La Maman et la Putain» permet de porter un regard neuf sur le chef-d’œuvre de Jean Eustache. Loin d’incarner la permissivité des années 1970, ce film dénonce les dérives de la société et rend hommage aux grands maîtres du 7e art.


En 1973, La Maman et la Putain, de Jean Eustache, remporte à Cannes le Grand prix spécial du jury et le Prix de la critique internationale. Le film crée cependant la polémique. Ingrid Bergman, membre du jury, le trouve ignoble. Quant à Gilles Jacob, il affirme n’avoir jamais entendu autant de grossièretés, argument stupide s’il en est ! En 2022, après moult péripéties, le film ressort en salle, remastérisé.

Bernadette Lafont à contre-emploi

Dans ma vie, il y a eu un avant et un après La Maman et la Putain, tant Jean Eustache est un réalisateur cher à mon cœur, pour plusieurs raisons. Il a vécu à Narbonne, ma ville natale, qu’il a filmée comme personne dans Le père Noël a les yeux bleus où, déjà, il sublime Jean-Pierre Léaud. Eustache a été également un metteur en scène unique : Bernadette Lafont disait de lui qu’il aurait pu diriger une chaise. Et, cerise sur le gâteau, en pleine libération sexuelle, en 1968, il réalise un documentaire, La Rosière de Pessac (une rosière étant une jeune fille dont on célébrait autrefois la virginité). Fallait le faire. Ceux qui affirment que Jean Eustache représente, avec ses films et particulièrement La Maman et la Putain, la permissivité qui régnait durant ces années-là ont donc tout faux. C’est justement un film intemporel, sur lequel planent les ombres de Murnau, Damia et Fréhel.

Visionnaire

La Maman et la Putain n’a pas d’équivalent dans le cinéma mondial, bien que l’intrigue puisse paraître assez banale. Un homme velléitaire et oisif, interprété par Jean-Pierre Léaud, hésite entre deux femmes : une « maman », Bernadette Lafont, ici à contre-emploi, et une « putain », Françoise Lebrun. Cela ressemble effectivement à une situation de couple à trois, typiquement années 1970. Or, ce film est avant tout réactionnaire (et visionnaire) ! Jean Eustache fait dire à Jean-Pierre Léaud que le MLF est une horreur, ou encore, lorsque celui-ci frappe à une porte, il donne cinq coups pour rythmer le slogan « Algérie française ! », encore plus scandaleux à l’époque. Et là où Eustache se fait visionnaire, c’est quand il annonce le nivellement par le bas que va subir notre société.

L’esthétique se veut elle aussi d’un autre temps. Avant sa masterisation, l’image était d’un noir et blanc un peu neigeux et pouvait évoquer les films de Murnau, un des maîtres de Jean Eustache. Après ce toilettage numérique, le noir et blanc est beaucoup plus accentué et donne aux nombreux plans fixes un aspect magnifiquement pictural : la filiation entre les deux hommes s’impose. La bande-son, quant à elle, évoque le répertoire des années 1930, Damia et Fréhel résonnent pendant tout le film.

Jean-Jacques Schuhl, l’ami de toujours, dandy velléitaire et auteur d’un ouvrage culte, Rose poussière, affirme dans Libération que Jean Eustache, c’était « le rien, l’immobilisme », et qu’il pratiquait « l’art de ne rien faire comme personne ». C’est faux, c’était tout le contraire. Ce qu’il raconte dans La Maman et la Putain, c’est l’histoire éternelle de l’impossibilité d’aimer. Et de vivre. En 1981, il se tire une balle dans le cœur, non sans avoir laissé ce mot : « Frappez fort, comme pour réveiller un mort. »

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Article extrait du Magazine Causeur




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est enseignante.

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