La Maîtresse italienne, le fort joli roman de Jean-Marie Rouart, s’appuie sur des considérations historiques passionnantes quant à l’époque napoléonienne.
On savait Jean-Marie Rouart fasciné par l’épopée napoléonienne. Il lui avait consacré déjà un fort bel essai, en 2012, Napoléon ou la destinée. Il revient aujourd’hui sur ce grand sujet, en concentrant son propos sur la captivité de l’Empereur déchu à l’île d’Elbe, quand celui-ci prépara ce qu’on appela les Cent-Jours. Cette période trouble de complots en tous genres fut également propice aux amours clandestines, le désœuvrement et le climat suave de l’Italie réchauffant les cœurs.
Un personnage oublié de l’histoire
Jean-Marie Rouart est allé repêcher, dans la petite histoire, un personnage oublié, mais haut en couleur, celui de la mystérieuse comtesse Miniaci, « la coqueluche de Florence », écrit-il. Il en fait le ressort principal de son récit. À vrai dire, on ne connaît presque rien d’elle : « La comtesse, écrit Rouart, cumulait ainsi les énigmes. On ne savait pas vraiment ni d’où elle venait, ni qui la protégeait, ni quelles étaient ses opinions ».
Rouart suppose qu’elle fut la maîtresse du colonel Campbell, officier anglais chargé de surveiller Napoléon à l’île d’Elbe.
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Le colonel était donc très souvent à Florence, aux petits soins pour sa capricieuse comtesse qu’il adorait, et il délaissait sa mission. Si bien que Napoléon, le jour convenu, put quitter sans encombre sa prison dorée. Telle est la trame que suit Jean-Marie Rouart dans ce roman basé sur des faits historiques, mais où il laisse, pour une certaine part, libre cours à son imagination.
De grandes séductrices
Ce faisant, Jean-Marie Rouart dévoile, je crois, beaucoup de ses pensées les plus intimes, en particulier sur le chapitre des femmes, lorsqu’il parle de toutes les superbes héroïnes de cette époque bénie qui, par-delà des siècles, le séduisent encore et l’inspirent. Il décrit bien sûr la comtesse Miniaci comme une amoureuse sublime : « Tout son corps, affirme-t-il, ne semble avoir été créé que pour donner de la volupté. » Ce génie qu’ont quelques femmes pour les choses de l’amour se retrouve quand Rouart trace le portrait de Pauline Bonaparte, la sœur préférée de Napoléon et l’une des plus extraordinaires figures féminines de son temps. Rouart, qui l’appelle d’ailleurs familièrement « cette adorable Messaline », se plaît à la peindre ainsi : « Belle, mutine, aguicheuse, paresseuse pour ce qui l’ennuie, infatigable sur la piste de danse, ultra séduisante, chaleureuse, avec un fond de bonté, elle possède au plus haut degré l’art de tirer de la vie tous les sucs du plaisir. » Ici, le romancier est certainement en adéquation avec la réalité.
Une leçon d’histoire
Car ce roman de Rouart possède une dimension réaliste très sérieuse. L’écrivain connaît admirablement cette période de l’histoire, aussi bien qu’un historien professionnel. Ce livre est donc l’occasion pour lui de peser les événements et ceux qui les ont faits. D’où des considérations historiques passionnantes, et, surtout, une galerie de portraits révélatrice de ces grands acteurs du passé, à commencer par Napoléon lui-même, reprenant pied à l’île d’Elbe.
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Rouart s’arrête également sur Louis XVIII, monarque résumant à lui tout seul « le renfermé et l’obsolète de l’Ancien Régime ». Il n’oublie pas non plus Murat, roi de Naples, ou encore (liste non exhaustive) Talleyrand, grand chambellan sous l’Empire et prince de Bénévent. Autant de personnages controversés, dont Jean-Marie Rouart n’hésite pas à parler de manière non conformiste, mais profonde. Par exemple, sur Talleyrand arrivant au Congrès de Vienne et s’apprêtant à jouer une partie difficile, il note : « Tout le monde comprit alors que grâce au vieux diplomate qui dominait le congrès de sa lucidité, de son intelligence, et de la liberté que lui donnait son absence totale de scrupules, la France vaincue était désormais un partenaire à part entière. »
Ce qui, dans cet épisode de la vie de Napoléon, intéresse Jean-Marie Rouart, écrivain politique sagace, c’est bien évidemment la perspective historique : les Cent-Jours qui se profilent à l’horizon, et puis Waterloo, le 18 juin 1815, qui mettra un terme final au retour de l’Aigle. De tout cela, délaissant un moment la comtesse dans son palais italien, Rouart nous parle avec ardeur. Il sait nous communiquer son goût pour cette période si émouvante de l’histoire de France, jusque dans les plus petits détails. Ce qui donne, ce faisant, un fort joli roman, très moderne, écrit dans un style savoureux, et bien plus sérieux qu’on ne pourrait croire.
Jean-Marie Rouart, La Maîtresse italienne. Éd. Gallimard. 176 p.
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