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La longue nuit du mort-vivant


La longue nuit du mort-vivant

Ayant passé plus d’une année, entre 2004 et 2006 à étudier l’itinéraire militaire et politique d’Ariel Sharon pour les besoins d’une biographie écrite, puis filmée, je suis régulièrement interpellé par mes amis et connaissances : « Au fait, il en est où ? »

Ma présence fait ressurgir dans leur esprit la figure d’un dirigeant politique dont ils ne savent plus bien dans quelle case de leur mémoire ils doivent le ranger, celle des morts ou celle des vivants. Cela fait maintenant trois ans et neuf mois qu’une hémorragie cérébrale frappait le premier ministre d’Israël, le plongeant dans un coma dont il n’est pas encore sorti. Cette situation n’est pas exceptionnelle : on a vu des comas se prolonger pendant des dizaines d’années, et même, il y a deux ans, un Polonais recouvrer la conscience après dix-neuf années de vie végétative.

Mais c’est la première fois, dans l’Histoire qu’un dirigeant politique de première importance se trouve dans cette situation : politiquement mort mais physiologiquement vivant. On discute de son héritage, en le glorifiant ou en le critiquant, mais il n’est pas possible de lui accorder le statut de ses prédécesseurs disparus : il n’est pas question de baptiser de son nom des rues ou des établissements publics, ou d’organiser des colloques universitaires sur son action.

Ariel Sharon poireaute donc dans l’antichambre de la gloire posthume, tombant peu à peu dans l’oubli de ses concitoyens, qui ont eu d’autres sujets de préoccupation que le sort de leur ancien Premier ministre. La guerre du Liban, celle de Gaza, et la menace nucléaire iranienne suffisent à alimenter les conversations et les colonnes des journaux, qui ont cessé de se préoccuper d’un homme de 81 ans, pensionnaire du centre spécialisé pour victimes d’AVC tombés dans le coma de l’hôpital Tel Hashomer de Tel Aviv.

S’agit-il, en l’occurrence d’une forme d’acharnement thérapeutique dont la famille et les médecins porteraient la responsabilité ? Non, si l’on en croit la journaliste médicale du Figaro, Martine Perez, elle même médecin, qui a eu des contacts avec ses collègues israéliens en charge du cas Sharon. En effet, s’il a bien perdu conscience, l’illustre patient respire sans avoir besoin d’un appareillage spécial. Il répondrait également à des stimulations, et les membres sa famille estiment qu’il est sensible à leur présence, notamment lors de la visite de ses petits-enfants. Les mêmes médecins estiment néanmoins que l’hypothèse d’une sortie du coma d’un patient de cet âge, ayant subi de lésions du cerveau de cette ampleur est hautement improbable, et que même si elle devait survenir, elle laisserait Sharon dans un état proche du légume…

On comprend dès lors que la mort ne peut survenir, pour autant qu’une autre maladie ne se charge pas d’écrire le mot fin, que par un processus d’euthanasie active, qui n’est pas plus autorisé par la loi israélienne que par la loi française.

On sait parler des vivants et des morts illustres. On écrit soit un portrait, soit une nécrologie. Mais on n’a pas encore trouvé la manière de traiter le cas de ceux qui se trouvent dans l’entre-deux. Lorsqu’elle surviendra, la mort d’Ariel Sharon ne fera guère lever que la moitié d’un sourcil d’un rédacteur en chef de permanence…

Quant au peuple, il s’est déjà manifesté par une blague qui circule en Israël. Un beau matin, Ariel Sharon ouvre les yeux et découvre son environnement hospitalier. Il hèle une infirmière, et lui demande de lui expliquer pour quelle raison il se trouve là, et de lui raconter ce qui s’est passé depuis sa perte de conscience. L’infirmière s’exécute, soucieuse de ne pas brusquer un patient fragile. Elle lui raconte d’une voix douce les événements politiques qui sont survenus depuis son accident cérébral : l’ascension, puis la chute de son protégé Ehoud Olmert, les ratés de la guerre du Liban en 2006, le pilonnage de la région de son ranch par les roquettes du Hamas, la victoire électorale de son vieux rival Netanyahou…

Sharon, les yeux mi-clos, médite quelques instants, puis dit à l’infirmière : « Remettez-moi dans le coma ! »

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