Dans cette crise de la démocratie américaine qui en rappelle d’autres – Brexit au Royaume-Uni, Gilets jaunes en France – Donald Trump ne fait que répliquer à un vaste conglomérat de forces liguées contre la moitié du peuple américain. Le réseau social Twitter et les grandes chaînes de télévision américaines en sont arrivées au stade de censurer le président… L’analyse d’Anne-Sophie Chazaud, auteur de Liberté d’inexpression (L’Artilleur).
Le déroulement rocambolesque de l’élection américaine 2020 doit être considéré comme le symptôme de la situation de la démocratie occidentale dans son ensemble, indépendamment des spécificités constitutionnelles de chaque nation, et il convient d’en tirer d’ores et déjà plusieurs enseignements.
Les “déplorables” bien plus nombreux que prévu
Tout d’abord, et c’est le plus flagrant, l’échec complet des prescripteurs d’opinion, médias mainstream, sphère intellectuelle/universitaire, milieu autorisé et bien-pensant du show-biz, sondeurs aveugles ou mensongers… Car, quel que soit le futur président des États-Unis qui sortira élu de tout ce patafoin, force est de constater l’extraordinaire résilience du vote pro-Trump, que l’on prédisait très largement battu à plates coutures sous l’effet d’une fantasmatique vague bleue qui, pour le moment, s’apparente plutôt à une sorte de trouble clapotis.
Il est difficile de dire si les sondeurs se sont une nouvelle fois complètement trompés, égarés par leurs partis pris idéologiques, ou si cela finit par relever de la tromperie délibérée et de la propagande, les deux n’étant du reste pas incompatibles
Il ne s’agit pas ici de prendre parti, dans une élection qui ne concerne pas directement le citoyen français, entre un personnage douteux, manifestement sénile, idéale poupée de chiffon pour un système voire un État « profond » qui pourra tout à loisir le manipuler et le ventriloquer à sa guise, ou un personnage instable, notoirement inculte, aux pratiques rustres et imprévisibles et à ce titre peu reluisant pour représenter ce que l’on évoque encore comme étant la plus grande démocratie occidentale.
Il convient en revanche de comprendre que le vote en faveur de Donald Trump manifeste la persistance et, en l’occurrence, la résilience de toute une partie du peuple, celui qui est qualifié de « deplorable » par Hillary Clinton, objet de tous les mépris de classe, mépris culturel, mépris social, mépris moral, de la part d’une autre partie du peuple qui se sent, elle, porteuse et investie du Bien, drapée dans ses bons sentiments, empêtrée dans ses sempiternels combats sociétaux, souvent jusqu’à l’absurde et au ridicule intégral, plus intéressée par les grandes idées abstraites que par le sort du petit travailleur américain. Notons d’ailleurs que c’est la républicaine Floride qui a voté le relèvement du salaire minimum pour les travailleurs les plus précaires tandis que la si généreuse et bien-pensante Californie, entre deux séances de yogas ou de méditation fen-shui, refusait de stabiliser la situation des pauvres soutiers de l’ubérisation.
Télés et Twitter censurent et accentuent la crise de la légitimité
En dépit d’un constant bourrage de crâne médiatique, New York Times en tête de gondole, de prises de position hystériques des stars hollywoodiennes amplifiées par la dramatisation psychopathologique et l’instrumentalisation de la crise sanitaire du Covid, en dépit des pressions activistes les plus obsessionnelles et vindicatives, sur fond d’agitation Black Lives Matter et d’hystérisation racialiste… En dépit aussi de l’intervention directe et extrêmement préoccupante des grandes entreprises d’Internet, Twitter en tête, aux fins de censurer et de faire pression directement sur l’opinion publique et sur le processus électoral. Il faut réaliser, tout de même, que cette entreprise s’est permis de censurer sans aucune vergogne et de façon répétée, jusqu’au soir-même des élections, les messages du Président des États-Unis d’Amérique en exercice, légalement et démocratiquement élu, tandis que de nombreuses chaînes de télévision américaines ont tout simplement coupé mercredi soir l’allocution de Donald Trump, s’arrogeant ainsi un droit de censure invraisemblable ainsi qu’un magistère de la vérité en politique très préoccupant, considérant au passage leurs auditeurs comme des pantins aisément manipulables. En dépit de ce traitement politique et social hémiplégique, l’Amérique de Trump est là, elle représente une bonne moitié des électeurs qui se sont par ailleurs mobilisés en masse.
A lire aussi, Didier Maïsto: “Je suis convaincu que l’État profond, cela existe”
Il est difficile de dire si les sondeurs se sont une nouvelle fois complètement trompés, égarés par leurs partis pris idéologiques, ou si cela finit par relever de la tromperie délibérée et de la propagande, les deux n’étant du reste pas incompatibles. Toujours est-il qu’ils n’ont, une nouvelle fois, pas vu l’éléphant républicain au milieu du salon, probablement convaincus que le destin du monde se décidait sur le campus azimuté d’Evergreen ou dans un open-space de Gafa entre deux cours participatifs sur la fabrication de smoothies bio.
Il importe de comprendre que ce phénomène remarquable de cécité est le même qui traverse toutes les démocraties occidentales, dans lequel les élites ayant fait sécession, ne sont plus en capacité de simplement voir le réel et l’analyser autrement que par les anathèmes, la disqualification et le mépris. Ce mécanisme produit un problème de légitimité puisque les sachants et bien-pensants se trouvent alors dans l’incapacité ontologique de reconnaître une véritable légitimité à toute une partie de la population qu’ils estiment être dans l’erreur, inculte, insuffisamment éclairée, haineuse, raciste, indifférente au sort de la mondialisation heureuse et de l’agitation des grandes métropoles qui, comme le disait si bien Bashung, « sont toutes les mêmes devenues ».
Une contre-attaque de Trump légitime
À la négation de cette légitimité ontologique de toute une partie du peuple (ici américain), le Président Trump ne réagit pas de la manière infantile dont on peut le croire et le résumer, tel un enfant mauvais joueur qui refuserait de perdre. Non, il oppose une autre contestation de légitimité. Il se place, ce faisant, sur le terrain des opposants au prétendu « populisme » qui sont en fait ceux qui, délaissant les classes populaires leur ont préféré la lutte des races, le combat de minorités érigées en parangon de la morale contemporaine, chantres du multiculturalisme devenu fou et d’un communautarisme destructeur d’unité nationale, et qui n’ont cessé de contester la légitimité du président élu depuis le premier jour de son élection il y a quatre ans. Cela s’appelle une contre-attaque et c’est parfaitement bien joué, car, si Trump n’est pas un érudit ni un fin lettré, ce que l’on peut en effet regretter si l’on est amoureux de Faulkner, de Fitzgerald, d’Hemingway, si l’on est ému à la Library of Congress ou vibrant à la New York Public Library, le président en exercice n’en demeure pas moins un excellent stratège, ce qui lui a plutôt bien réussi dans les affaires mais aussi, rappelons-le, dans les très nombreuses victoires qu’il a obtenues au plan international pendant toute la durée de son mandat, démontrant une nouvelle fois qu’on ne fait pas forcément de bonne politique avec de bons sentiments.
Il conteste donc, lui aussi, la légitimité de ceux qui refusent d’admettre que 50% du peuple américain existe et soit autre chose que la caricature stupide qui en a été dressée avec la complicité de médias bornés et simplement effrayés de perdre leur monopole idéologique. Par ailleurs, il ne suffit pas de tourner les soupçons de fraude en dérision pour que ceux-ci soient infondés : il conviendrait de regarder de très près comment des milliers de votes par correspondance arrivant d’un seul coup comme par enchantement ne comptent pas un seul bulletin Trump, ou comment des personnes décédées ont pu voter. Le ricanement ne suffira pas.
La “Redneck nation” de Trump et les Gilets jaunes de Macron
Ce malaise dans la démocratie est le même que celui qui s’est manifesté en Europe lorsque le mainstream a été incapable de prévoir, de comprendre puis d’accepter la légitimité du vote « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel européen. Légitimité qui a été tellement contestée du reste qu’elle a été niée et contournée par le félon Traité de Lisbonne, trahison parlementaire dont la démocratie française n’est pas remise. Ce malaise dans la démocratie est le même que celui qui nimbe d’un sentiment d’illégitimité (ce qui ne signifie pas l’illégalité formelle) qui entoure la présidence Macron rendue possible à la faveur du raid médiatico-judiciaire que l’on sait visant le candidat Fillon et appuyé par une presse quasi entièrement ralliée au jeune banquier. Le mouvement des Gilets Jaunes fut l’expression de cette même fracture, qui n’en a pas fini de produire ses effets.
Ce malaise dans la démocratie est le même qui a vu toute une partie des élites boboïsées britanniques simplement incapables d’accepter le vote pourtant clair du peuple souverain en faveur du Brexit.
A lire aussi: Etats-Unis: les facs prestigieuses ne sont pas les plus respectueuses du «free speech» (classement)
Dans tous les cas, la contestation de la légitimité du peuple s’est toujours d’abord opérée contre les classes populaires, réputées incultes, haineuses, égarées, pourvoyeuses ou victimes de fake news. Ce combat obsessionnel des élites et des prescripteurs d’opinion contre les fake news devrait d’ailleurs interpeller : la notion même de fake news a été élaborée en réaction à l’élection de Donald Trump, puis s’est nimbée d’un vernis universitaire et intellectuel sur fond de grandes envolées au sujet de la « post-vérité ». Les entreprises de réseaux sociaux ont bondi sur l’occasion pour justifier la censure au nom de cette lutte contre la désinformation tandis que les gouvernances néo-progressistes, comme la Macronie, s’empressaient d’adopter des dispositifs liberticides en ce sens (loi anti fake news promptement adoptée en France).
Deux populations face à face
Cette contestation s’est ensuite opérée par tous les moyens possibles : grotesques accusations d’interventions russes (un grand classique du complotisme anticomplotiste), tentatives hystériques et désespérées d’impeachment, agitation de rue encouragée de manière irresponsable et délibérée par le camp du Bien au point que le pays a basculé depuis les outrances du mouvement Black Lives Matter au bord de la guerre civile (mais qu’importe, puisque certains préfèrent sacrifier leur pays plutôt que leur idéologie), etc.
Tout ce qui était possible pour délégitimer le pouvoir « populiste » en place a été entrepris, depuis des années, et par tous les moyens. En France, la répression visant le « Gaulois réfractaire » a été inouïe et sans aucune comparaison dans notre histoire récente depuis la guerre d’Algérie.
Nos démocraties voient donc et de manière profonde et durable, deux populations se faire face, sans compter les multiples ferments séparatistes qui les parasitent, et ces deux entités semblent désormais difficilement conciliables, imperméables radicalement à la rhétorique et à l’idéologie de l’autre, ce qui rend l’acceptation du processus électoral de plus en plus malaisée pour ne pas dire impossible. En revanche, accuser les « populistes » (ici Trump), d’avoir attisé les braises lorsqu’on a passé quatre ans à leur contester toute légitimité, y compris par l’action de rue violente, relève du très mauvais scénario si ce n’est de la farce tragique.
Liberté d'inexpression: Des formes contemporaines de la censure
Price: 18,00 €
16 used & new available from 9,99 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !