Les artistes plasticiens pouvaient penser que la crise sanitaire remettrait les pendules à l’art: les toiles, sculptures « en vrai » bénéficiant, comme le spectacle vivant, d’un surcroit de faveur: après les écrans du télétravail, tyrans de la vue et des nerfs, vive l’art en présentiel! C’était sans compter sur la cupidité « branchée » qui vient d’inventer un iconoclasme juteux.
En cause les NFT (Non-Fungible-Token) « jetons non échangeables » basés sur la blockchain, technologie numérique garantissant la traçabilité d’images ou d’objets sur le net. Vous téléchargez librement des images d’une œuvre numérique mais il n’y a qu’un seul original, certifié par un NFT vendu à prix d’or. Ce mécanisme permet à des « mèmes », tweets, vidéos etc, d’être cotés tels des œuvres d’art. Cette propriété digitale, utile au marché de l’art virtuel, a créé une bulle spéculative, les NFT relevant des crypto-monnaies dont le cours est dopé par la Covid. A New-York s’est déjà ouvert une galerie physique spécialisée en NFT.
Banksy: toujours dans les bons coups
Le 4 mars, le virtuel tue, pour la première fois, en direct, l’art dans sa réalité physique. Un Banksy, acquis en galerie pour 95 000 dollars, a été carbonisé lors d’une performance filmée avant d’être «réincarné» illico en ligne dans son «NFT » : il n’existe plus que sous forme de certificat d’authenticité qui trouva acquéreur à 320 000 dollars, bingo ! « Il fallait détruire physiquement l’œuvre pour que sa valeur se transfère de l’objet physique au NFT » est-il expliqué au début de la performance.
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Certes, l’œuvre détruite n’est qu’un tirage d’une gravure intitulée Morons (White) et représentant une salle de vente où les acheteurs, face à un tableau blanc, lisent: «Je n’arrive pas à croire que vous achetez vraiment cette merde, bande de débiles». Bansky pose en rebelle mais vit de ce qu’il dénonce. Dans la foulée, Christie’s, le 11 mars, organisa sa première vente d’un objet d’art numérique qui décrochera le record de 69,3 millions de dollars, le plus cher « crypto-art ».
Euthanasie lucrative et redoutée
L’entourage de Banksy se défend d’encourager la destruction des œuvres d’art rares et significatives, avouant que le Banksy n’est qu’une planche à billet. Mais que se passerait-t-il s’il devait y avoir un NFT de la Joconde produit par le Louvre ? Les musées, toujours en mal de financement, pourraient être tentés. Et le milliardaire ou la multinationale (il y en a de plus puissantes que les Etats) détenteurs du NFT de Vinci, être désireux d’organiser une Lisa-grillade au musée. En France, après Notre-Dame ou la cathédrale de Nantes, il y a tant de malencontreux accidents que le ministère de la Culture n’y verrait que du feu. Cela nous promet des bûchers à travers la planète surtout pour les œuvres moins connues mais tout aussi essentielles au patrimoine.
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Pour les artistes vivants, vendre le NFT de son œuvre pourrait participer d’une sorte de mécénat, à condition (cela n’a rien d’automatique) de toucher un pourcentage sur la revente du NFT. Sinon la réussite d’une carrière enrichira le spéculateur, pas l’artiste, qui pourrait même voir la survie physique de son œuvre menacée. Car le NFT a une immense supériorité sur un certificat papier : il est infalsifiable, danger mortel. En effet, l’œuvre expertisée à un instant t, quand elle vaut cher (ce qui s’organise en spéculant en réseau), le propriétaire cupide et branché aura intérêt à ce que survienne une habile catastrophe qui figera la valeur au plus haut. Il évitera les dévaluations futures (ces batailles d’experts autour « de la main » ou « de l’atelier» de X ou Y) ou coupera court à la restauration d’une œuvre contemporaine abîmée, ou difficilement stockable, ou frappée de refus d’exportation etc. L’euthanasie lucrative des œuvres d’art est-elle avancée ?
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