Après plusieurs mois de négociations infructueuses du gouvernement hongrois avec l’Union européenne, les universités hongroises s’apprêtent à perdre leurs droits Erasmus+ qui permettent de faciliter les mobilités et les partenariats entre universités européennes. Les motifs de cette décision restent difficilement explicables, renforçant l’image d’une Hongrie devenue la paria de l’UE. Tribune libre de Rodrigo Ballester, directeur du Centre d’Etudes européennes du Mathias Corvinus Collegium à Budapest.
À quoi sert l’Union Européenne ? Quand certains peinent à répondre à cette question qui en taraude plus d’un et manquent d’exemples concrets, ils finissent par dégainer du tac au tac un joker imparable : Erasmus. Bien-sûr, Erasmus est la seule initiative européenne qui mette tout le monde d’accord, bien plus que ces autres « Euro » et « Schengen », tout aussi connus mais, disons, moins consensuels – pour rester polis. Erasmus est cette magnifique idée qui sort des sentiers battus bureaucratiques, qui parle au-delà des cercles d’initiés. C’est l’Auberge espagnole de Cédric Klapisch, c’est un million de bébés multiculturels.
D’ailleurs, Erasmus, c’est tellement beau que c’est ouvert à tous. La Turquie, la Macédoine du Nord ou l’Islande en font pleinement partie et, grâce à son volet international Erasmus mundus, les étudiants de tous les pays du globe peuvent bénéficier de la générosité académique européenne, même les ressortissants de démocraties cinq étoiles comme l’Iran, le Qatar ou le Venezuela. Mais est-ce vraiment pour tout le monde ?
Pas si vite, car depuis peu, l’UE a eu l’heureuse idée de transformer Erasmus en arme d’extorsion massive. Une arme qu’elle pointe sans trop bouder son plaisir contre la tempe de son bouc émissaire préféré : la Hongrie du grand méchant Orbán et des non moins punissables Hongrois qui ont eu l’outrecuidance de le réélire une quatrième fois. En effet, à partir de septembre, il est plus que probable que deux tiers des universités hongroises, c’est à-dire 180 000 étudiants, soient exclues de ce programme européen censé incarner la concorde, l’inclusion et bien d’autres mantras aussi pérorés que dévoyés lorsque l’occasion se présente.
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Pour quel motif, au juste ? Orbán a vraiment dû dépasser toutes les bornes pour faire sortir de ses gonds la paisible Bruxelles, non ? Que nenni, il s’agit d’une sanction pour rien ou plutôt « au cas où ». Une sorte de délit de faciès conservateur drapé dans les oripeaux d’une notion aussi fumeuse qu’utile : l’État de droit. Depuis 2018, suite à une réforme de l’enseignement supérieur, la majorité des universités hongroises sont désormais des fondations autonomes gérées (entre autres) par des conseils d’administration. Parmi leurs membres, il y avait un petit dix pour cent de politiciens clairement proches du gouvernement. Comme en Allemagne, Belgique, en Tchéquie ou en France me direz-vous, mais voilà, il semble qu’au nom de l’État de droit, certains soient moins égaux que d’autres…
Mais encore ? Bruxelles argumente doctement que la présence de ces onze politiciens est une entorse à l’État de droit (ah oui, pourquoi ?) qui pourrait (un jour, peut-être, qui sait ?), devenir une menace pour le budget européen (comment et pourquoi au juste ?). Oui, l’UE vient d’inventer, en direct, la notion de l’infraction imaginaire, du délit « au cas où », un peu comme si votre équipe de foot était exclue du championnat avant qu’il ne commence, « au cas où » l’un des joueurs ne commettait une faute ; rien de moins… au nom de l’État de droit.
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Ceci est d’autant plus croustillant que les onze politiciens concernés ont démissionné au mois de février en pensant ainsi satisfaire l’ogre bruxellois. Peine perdue, car la menace reste de mise, et les technocrates sortent de nouvelles conditions de leur besace au fur et à mesure que le gouvernement hongrois remplit les précédentes. Bruxelles semble jouer la montre jusqu’aux prochaines élections européennes en juin 2024 et ainsi refiler la patate chaude à la prochaine Commission. En attendant, des milliers d’étudiants hongrois seront discriminés et la réputation des universités hongroises sera davantage écornée pour rien. Le tout dans l’indifférence générale et un abject cynisme qui piétine allègrement le droit au nom de « l’État de droit » et qui prend en otage l’avenir de milliers d’étudiants au nom des « valeurs européennes ». L’UE transforme sous nos yeux le budget en arme politique sans que personne ne s’en offusque, en chantant et en faisant chanter. Après le cobaye hongrois, qui sera le prochain sur la liste ?
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