En métropole, les élites auraient tort de négliger encore longtemps le potentiel de la jeunesse de Guyane. Inquiet, le département d’outre-mer a voté en masse pour la liste de Jordan Bardella (Rassemblement national) aux élections européennes.
À 7000 km de Paris, la France ultrapériphérique : la Guyane, territoire français de 280 000 habitants, connaît au moins deux fois plus de chômage qu’en métropole. Pendant que les ondes de France Culture se penchent sur le rapport à dame Nature des Indiens du Brésil, un peuple d’Amazonie française, les Wayana, s’éteint peu à peu dans l’indifférence générale. La Guyane, c’est une terre où l’on trouve des branchements électriques sauvages dans des bidonvilles, c’est là où l’on trouve le plus de cas de tuberculose en France, c’est là où a été chaleureusement accueilli le militant panafricain Kémi Seba, ceci malgré ses outrages envers les Juifs durant sa jeunesse. Il faut dire que lorsque le tribun déclare au micro de Guyane la 1 ère que « la jeunesse est dans un nihilisme de fait », on peut difficilement lui donner tort : un tiers des jeunes au chômage, des files d’attente pour « Air cocaïne » toujours plus longues, des adolescents d’un collège de Saint-Laurent-du-Maroni qui déclarent à votre serviteur, avec un sarcasme qui en dit long, « nous sommes le futur de la Guyane ».
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Une « démographie toujours aussi dynamique »
La Guyane, c’est loin de l’Union européenne. C’est l’impression d’être oublié par l’hexagone et l’impression, à tort où à raison, que les politiciens locaux ne pensent qu’à leur carrière et à s’en mettre plein les poches. C’est un département où Jordan Bardella a fait un carton aux Européennes : 27,47 %. Pour ceux qui votent bien, la dépolitisation de la population suffirait à expliquer le mauvais choix. Une analyse qui ne veut pas voir un fait essentiel : la Guyane est un département pauvre qui doit faire face à d’importantes venues d’immigrés, pour l’essentiel du Suriname, du Brésil et d’Haïti. N’y aurait-il pas là une possible corrélation ? La Guyane, c’est selon les mots doux de l’INSEE, un département à « la démographie toujours aussi dynamique », le taux de natalité le plus important de France après Mayotte. Concrètement, des maternités en sous-effectif surchargées. En 2016, selon l’INSEE, les naissances de mères étrangères y ont carrément dépassé les naissances de mères françaises. Pas sûr que chez nous, cette situation passerait comme une lettre à la Poste, y compris pour les humanistes de gauche.
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Esther, Marie, David… Robert
Plutôt que de jouer les Cassandre, soyons positifs, bienveillants comme on dit : voilà une opportunité de compenser l’atonie démographique de la Creuse ou de la Corrèze. Certes, il y aurait bien la Seine-Saint-Denis, mais avec 40 % de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman en 2015, on peut trouver meilleur outil pour assurer la cohésion nationale… Regardons donc plutôt vers la Guyane : si les catholiques y sont comme chez nous dans une mauvaise passe, les églises évangéliques, adventistes ou Témoins de Jéhovah s’y multiplient comme des petits pains. Une flânerie dans le centre de Saint-Laurent permet de voir une dizaine de ces églises, pour deux églises catholiques et une modeste mosquée. De plus, croiser une seule femme coiffée d’un hijab en un an, dans une ville de 50 000 habitants, reconnaissons qu’à moins de rester cloîtré dans un manoir, ça relève chez nous de l’exploit. Quid des prénoms ? Selon les services d’État civil de la Guyane, en 2017, les prénoms les plus donnés pour les garçons furent Samuel, David, Ethan, puis Emmanuel. Et pour les femmes, Esther, Maria, Alicia et Marie. Dans un collège de mille élèves de Saint-Laurent, que je connais bien, aucun ne porte de prénom arabo-musulman, mais pour l’essentiel des prénoms anglo-saxons ou des prénoms bien de chez nous. J’y ai même côtoyé un Robert, et cela ne fait rire personne…
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Élites et intellectuels ne répondent pas
Alléluia ! Les Marie sont réapparues, au Diable leur disparition relevée dans « L’Archipel français ». Le hic, c’est que la Guyane, si elle met au monde des Marie, est aussi un territoire oublié. Pour l’heure, la douceur du climat, la cuisine créole ou bushinengué, les aides sociales et la foi jouent pleinement leur rôle de canalisateur d’émeutes, mais jusqu’à quand ? Les territoires oubliés sont récupérés dans l’hexagone par des mafias et les franges radicales de l’islam. Rien ne peut garantir de manière certaine que la Guyane ne connaisse jamais un scénario identique. Pourquoi nos élites et nos intellectuels ne s’intéressent-ils pas à la Guyane, une terre qui partage avec la France cinq siècles d’Histoire, une terre qui a mis au monde Félix Eboué, héros de la seconde guerre mondiale, et d’autres héros inconnus morts pour la France, lors de la première et de la seconde guerre mondiale ? Trop France périphérique, la Guyane ? Voilà certes une terre lointaine, mais qui fourmille d’une jeunesse polyglotte et française, authentiquement à la croisée de plusieurs cultures. Nos élites et intellectuels seraient bien avisés de ne pas attendre trop avant de s’y intéresser : tandis que les églises évangéliques, elles, s’y intéressent de plus en plus, des Kémi Seba pourraient y germer.
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