Dans le combat à mener contre les menées de l’islamisme à l’école, et contre la menace terroriste, les professeurs doivent avant tout se réarmer moralement. Ce n’est pas gagné.
Au soir du 16 octobre, les professeurs se sont vu décerner un brevet d’héroïsme, ou de victimisation expiatoire. Par leurs syndicats, bien sûr, mais plus étonnamment, dans ces colonnes mêmes: « Les profs une fois de plus en première ligne »[1]. Alors des héros, pourquoi pas ? Mais malgré eux, à la Giraudoux, des héros qui détalent[2]. Lors de la séance de thérapie collective qui a ouvert cette journée d’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard (et valu à nos élèves une grasse matinée dont ils se souviendront, longtemps), le mot d’ordre était sans équivoque : « tous aux abris ! ».
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Dans mon petit établissement de banlieue, la cheffe nous a fait asseoir en rond, façon alcooliques anonymes, manière d’exprimer notre ressenti de victime, de scénariser nos traumas. Visage bouffi par les larmes, voix tremblotante, regard vide, elle a entonné l’air « On va tous mourir » pour mener ensuite le concert des jérémiades: on nous en demande beaucoup, je ne suis pas rentré dans l’Éducation nationale pour ça, ma famille n’en peut plus, que prévoit-on pour notre sécurité… Les quelques voix dissonantes ont aussitôt été réprimées. Saluer le courage de nos collègues du lycée Gambetta qui ont tenté d’arrêter le terroriste ? C’est stigmatiser ceux qui ne l’auraient pas eu. Inviter à ne pas donner à ses élèves le spectacle de la peur (« C’est laid, un homme qui a peur » lance la petite Antigone d’Anouilh à Créon) ? C’est se stigmatiser soi-même et la cheffe avec. Pour la minute de silence de l’après-midi, on nous invite à nous planquer dans nos classes. Enfin, on expliquera à nos élèves que, si Mohammed Mogouchkov en est arrivé là (on ne sait pas très bien où puisque les mots de terrorisme et d’islamisme n’ont pas été prononcés), c’est parce qu’il n’a pas eu la chance que vous avez d’aller à l’école. Qu’importe la vérité pourvu qu’on ait le narratif.
Alors côté sécurité, c’est sûr que je ne serais pas opposée à quelques cours de krav-maga, histoire de vendre chèrement ma carotide. Mais j’ai avant tout le sentiment que les profs ont un autre combat à mener qui nécessite un réarmement moral, spirituel et intellectuel. Un combat sur plusieurs fronts.
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Contre eux-mêmes, d’abord, contre l’idéologie et la pédagogie gauchistes, seconde nature qui les a coupés du réel : une fois de plus, ils sont abasourdis, atterrés, ils découvrent que l’islamisme peut frapper en France et ils retrouvent leurs réflexes pavloviens (pas d’amalgame ; tous des victimes ; l’école pour tous et surtout pour les allophones-discriminés ; la guerre, c’est la paix).
Le deuxième front, c’est l’Institution: les syndicats, jamais avares d’une petitesse ou d’un déshonneur, depuis la guerre-de-la-covid jusqu’au droit de retrait devant les punaises de lit et au couplet des moyens, fredonné sur la dépouille encore chaude de Dominique Bernard; une hiérarchie tantôt défaillante, tantôt collabo (silence sur les manquements à la laïcité, confusion entre abaya et kimono…) ; une inspection traquant les professeurs qui luttent encore contre l’affaissement du niveau scolaire.
Le dernier front, c’est la salle de classe où, libérés de leurs vieux démons et réconciliés avec le plus beau métier du monde, les profs pourront transmettre l’amour de la France, de sa culture, de sa langue. « France aimée, disais-je en mon enfance, redis-je en écrivant ces lignes, redis-je si près de ma mort […], toi qui m’as reconnu serviteur étranger de ta langue […], toi qui m’as donné ta langue, haut fleuron de l’humaine couronne, ta langue qui m’est chère et pays de mon âme, ta langue qui m’est aussi une patrie », écrivait Albert Cohen dont la famille avait quitté Corfou pour fuir les pogroms.[3] C’est sur ce front, en première ligne, dans le noble et fier exercice de leur fonction et de leurs responsabilités, qu’on aimerait voir les professeurs.
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[1] Article de Dominique Labarrière, Causeur.fr, 16 octobre 2023.
[2] « L’homme en temps de guerre s’appelle le héros. Il peut ne pas en être plus brave, et fuir à toutes jambes. Mais c’est du moins un héros qui détale. » La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux.
[3] Ô vous, frères humains, XXIII
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