Ben Laden et son successeur, Ayman al-Zawihiri prêchaient la guerre de tous les musulmans réunis contre le Grand Satan occidental. Sans chercher à construire leur propre État, ils ont privilégié la lutte clandestine et les attentats de grande ampleur plutôt que le combat contre les chiites. Même en Afghanistan, Ben Laden n’a jamais vraiment eu l’ambition de revêtir l’habit d’un petit calife régnant sur un bout de territoire, au contraire d’Abou Bakr al-Baghdadi. Ce dernier, mû par sa haine des chiites, cherche d’abord à se construire, en Mésopotamie, un nouveau califat. Stratégie régionale contre stratégie globale, stratégie conventionnelle contre stratégie terroriste. Ben Laden a parcouru le monde, de refuge en refuge, il a essaimé des filiales qui sous-traitaient ses activités dans des conflits locaux comme l’Irak. C’est là qu’Al-Baghdadi, un de ses vassaux et potentat local, a patiemment tissé sa toile autour de son fief. Jusqu’à s’autoproclamer en juin « calife Ibrahim, successeur de Mahomet » – le mot arabe khalife signifiant « successeur » du Prophète. Exit Al-Qaïda, à lui le pouvoir.
Le succès d’al-Baghdadi commence à la mort de Ben Laden et atteint son apogée au cours de cette retentissante proclamation à la mosquée de Mossoul. C’est autant par ses talents de communicant que par ses succès militaires qu’il a évincé Al-Qaïda de la tête du djihadisme international. Les États-Unis et une bonne partie de la « communauté internationale », en déclarant la guerre à l’État islamique, ont fini de légitimer al-Baghdadi et de ringardiser al-Zawahiri comme le représentant mondial de l’islam radical.
De plus en plus de petits groupes armés et de djihadistes européens font allégeance au calife de Mossoul, séduits par la violence de son discours et le spectacle des exécutions sommaires. Pas plus tard que la semaine dernière, deux chefs importants d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), sur fond de rivalités locales, ont annoncé faire sécession pour rejoindre l’EI. Au point qu’al-Zawahiri donne le sentiment de perdre progressivement le contrôle de ses troupes. Le chrirugien égyptien, intellectuel dont l’aura a grandi dans l’ombre de Ben Laden, n’a jamais réussi à s’imposer aux autres chefs de guerre. La gloire du djihad se gagne sur le terrain, par l’épée, pas dans les livres. Or aucun attentat de grande ampleur n’a pu être revendiqué par al-Zawahiri. C’est d’ailleurs contre Al-Qaïda lui même, par l’exécution sauvage de centaines de combattants d’Al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie), qu’al-Bagdhadi s’est taillé son royaume barbare, à cheval sur la Syrie et l’Irak. Il y a donc fort à parier qu’Al-Qaida ne survive pas au souvenir de Ben Laden et ploie devant l’émergence de la nouvelle vedette du djihad.
Néanmoins, le calife de Mossoul pourrait être contraint de revoir son agenda régional s’il acceptait le renfort des djihadistes du monde entier. Et puisque les Américains et toute la région le recherchent activement, son ambition de créer un État islamique au grand jour pourrait se voir remise en question. S’il veut poursuivre son épopée de boucher du Moyen-Orient, al-Baghdadi devra sans doute se tourner vers une stratégie à la Ben Laden, globale et clandestine. Et renoncer à sa propre ambition régionale.
*Photo : wikimedia.
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