La France étant plongée dans une de ses crises sociales récurrentes comme la fièvre quarte, elle est toute occupée à se regarder le nombril et à se lamenter sur elle-même. C’est pourquoi elle ne prête pas trop d’attention à des événements lointains et peu spectaculaires : aucune image de télé n’est disponible les concernant, et la quasi-totalité des budgets transmissions des grandes chaînes ont été dépensés dans la couverture de l’épopée souterraine des mineurs chiliens.
Et pourtant, la première guerre high tech du XXIe siècle a bel et bien commencé, et elle oppose Israël soutenue par le Pentagone[1. Les « couacs » entre le Pentagone et la Maison Blanche viennent de faire l’objet d’un livre de Bob Woodward Obama’s wars. Une « autonomisation » de l’action du Pentagone, dans certaines limites, n’est pas totalement à exclure…] à l’Iran et ses succursales syriennes, libanaises et gazaouites.
On se doutait bien que les autorités de Washington et de Jérusalem ne restaient pas totalement inertes devant les provocations répétées de Téhéran et l’échec patent de la politique de la main tendue d’Obama et de l’Union européenne pour mettre un terme aux ambitions nucléaires du régime des mollahs. Planification, négociations politico-stratégiques et préparatifs logistiques allaient bon train en coulisses pendant que les grands leaders distrayaient le grand public en focalisant leur attention sur la question mineure[2. Avis aux commentateurs : d’un point de vue géopolitique, ce conflit reste mineur en dépit de sa durée et des litres d’encre et de salive qu’il fait couler.] du conflit israélo-palestinien.
Mystérieuse explosion à Khorammabad
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que les acteurs de ce conflit de l’ombre commencent à « communiquer » par des canaux parallèles, mais bien connus de ceux qui suivent attentivement ces questions.
Au cours de ce mois d’octobre, on a successivement appris :
1. Qu’un virus nommé Stuxnet, mis au point dans le cadre d’une étroite coopération entre les services israéliens et américains avait mis le souk dans les systèmes de gestion de la centrale nucléaire iranienne de Bushehr.
2. Qu’une « mystérieuse explosion » s’était produite le 12 octobre dans la base souterraine ultra-secrète de Khorramabad, à l’ouest de l’Iran, abritant des missiles à moyenne portée, provoquant la mort de plusieurs dizaines (certains disent même plusieurs centaines) de Pasdarans chargés de leur garde. Comme par hasard, cette explosion s’est produite au moment où Mahmoud Ahmadinejad défiait verbalement Israël à quelques kilomètres de sa frontière nord.
3. Que le Hezbollah libanais était approvisionné, via la Syrie, en missiles d’une portée de 250 km, permettant d’atteindre les centres vitaux d’Israël à partir de bases situées hors de la zone théoriquement contrôlée par la FINUL (Force d’interposition des Nations Unies au Liban).
Téhéran a minimisé les deux premières affaires en parlant « d’accident » pour l’explosion dans la base des missiles, et en niant officiellement qu’un virus informatique soit la raison des retards répétés dans la mise en route de la centrale de Bushehr.
On ne commente pas non plus ces deux affaires à Jérusalem et à Washington, mais les canaux par lesquels elles sont parvenues à la connaissance du public[3. Notamment le journaliste indépendant israélien Jacques Benillouche (Slate.fr) et Stéphane Juffa, le patron de Metula News Agency.] et les précisions avec lesquelles ces informations sont rapportées est un signe qui ne trompe pas : les services spéciaux israéliens ne sont pas totalement étrangers à ces affaires et tiennent à le faire savoir.
Quant aux informations sur les nouvelles capacités militaires de la milice du Hezbollah, elles ont donné lieu à un « scoop » récent du journaliste du Figaro Georges Malbrunot, ancien otage en Irak, qui sert habituellement de « petit télégraphiste » lorsque les services syriens ont un message à faire passer. C’est ainsi qu’au mois de juillet dernier, la révélation par ce même Malbrunot de l’utilisation par le Qatar de sociétés de sécurité israéliennes avait rendu fou de rage Serge Dassault, propriétaire du Figaro engagé dans de délicates négociations pour la vente de « Rafale » à l’émirat du Qatar…
Pour l’instant, cette guerre contre l’Iran est à mi-chemin entre le stade de la gesticulation et les premières escarmouches annonciatrice de la grande confrontation.
La suite dépend du nouveau cours que prendra la politique étrangère d’Obama après la débâcle démocrate annoncée lors des midterm du 2 novembre. Le départ de Rahm Emmanuel de la Maison Blanche et celui, annoncé pour juin, de son plus proche conseiller David Axelrod marque sans doute la fin de la tentative de faire plier Benyamin Netanyahou sur la question des constructions dans les implantations.
Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Quelques augures conservateurs, comme l’ancien représentant américain à l’ONU John Bolton prédisent le pire : ligoté par un Congrès républicain en politique intérieure, Obama serait tenté de se concentrer sur des objectifs internationaux, par exemple en exigeant d’Israël qu’il adhère au Traité de non-prolifération nucléaire en échange du renoncement, par Téhéran à se doter d’armes atomiques. Ils annoncent aussi, en cas de blocage des pourparlers directs entre Palestiniens et Israéliens, que les Etats-Unis pourraient soutenir à l’ONU une résolution établissant un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza dans les frontières de 1967.
On ne voit pas comment Hillary Clinton (qui n’a pas perdu espoir de succéder, en 2016, à Barack Obama) pourrait souscrire à une telle ligne, et rien ne permet de penser que le successeur de James Jones à la tête du Conseil national de sécurité sera en mesure de « vendre » cette politique au Pentagone et au Congrès. Ce dernier tient, rappelons-le, les cordons de la bourse, et peut ainsi s’opposer au Président en coupant les vivres de projets qui lui sont chers. Il faudrait alors que cette politique d’Obama soit plébiscitée par l’opinion pour qu’elle ait quelque chance de s’imposer.
En attendant, au Proche-Orient, les bruits de bottes sont de plus en plus sonores…
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