Accueil Édition Abonné La Grande Mosquée de Paris peut-elle faire taire Michel Houellebecq?

La Grande Mosquée de Paris peut-elle faire taire Michel Houellebecq?

Des propos de l'écrivain sur les musulmans visés par une plainte


La Grande Mosquée de Paris peut-elle faire taire Michel Houellebecq?
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris et l'écrivain Michel Houellebecq / ©IBO/SIPA © Karl Schoendorfer/REX/SIPA

La Grande Mosquée de Paris entend censurer l’écrivain et porter plainte contre lui, pour «provocation à la haine contre les musulmans», en raison de propos tenus dans la revue Front populaire.


En 2006, la Grande Mosquée de Paris avait porté plainte contre Charlie Hebdo, aux côtés de l’UOIF (renommée depuis « Musulmans de France », très proche des Frères Musulmans) et de la Ligue Islamique Mondiale, dont l’un des objectifs officiels est l’instauration d’une censure planétaire contre le « blasphème ».

En 2002, c’était contre Michel Houellebecq – déjà !

À chaque fois, la Grande Mosquée a été déboutée, mais cela ne l’a visiblement pas dissuadée de recommencer, puisqu’elle vient à nouveau de porter plainte contre Michel Houellebecq, plainte reposant sur une interprétation très orientée des propos de l’écrivain, et dont la légitimité interroge en raison des prises de position et actions passées de cette institution.

Houellebecq, romancier d’anticipation ?

Que reproche à Michel Houellebecq la Grande Mosquée de Paris ? D’après son communiqué d’avoir, dans un entretien avec Michel Onfray publié par Front Populaire, dit les choses suivantes :

« Des gens s’arment. Ils se procurent des fusils, prennent des cours dans les stands de tir. Et ce ne sont pas des têtes brûlées. Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers ».

« Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent ».

De ce propos, la Grande Mosquée de Paris conclut qu’« il légitime comme un fait acquis une opposition essentielle entre « les musulmans » et « les Français de souche », pour dire que les musulmans ne seront jamais de vrais Français, et qu’il faut s’en méfier au plus haut point, car ils veulent détruire l’unité du pays. Pour lui, « les musulmans » sont irrécupérables, du fait de leur religion, et la seule chose qu’il faut obtenir, c’est qu’ils arrêtent de voler et d’agresser les Français, ou à défaut de les voir partir. »

Voilà qui appelle plusieurs remarques.

D’abord, à aucun moment dans les propos visés, Michel Houellebecq n’exprime une quelconque adhésion aux phénomènes qu’il décrit. Le premier paragraphe anticipe une réaction hostile brutale à la prise de pouvoir de l’islam sur « des territoires entiers » : ce n’est pas de l’incitation à la haine mais un constat sociologique, anthropologique et historique assez basique que d’affirmer que, quand une population allogène impose ses mœurs sur un territoire, les autochtones peuvent finir par réagir violemment, et que cette violence peut prendre des formes extrêmes et aveugles.

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Le second paragraphe expose ce que Michel Houellebecq pense être le souhait de ceux qu’il appelle « les Français de souche ». L’écrivain a manifestement tort de généraliser : beaucoup de « Français de souche » ont voté pour Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron, donc pour une accélération des flux migratoires et une augmentation de la présence musulmane en France, et il ne faut pas oublier que des « de souche » se convertissent parfois à l’islam ! Mais que Michel Houellebecq se trompe dans sa lecture des opinions et des souhaits des « Français de souche » ne veut pas dire qu’il fait siennes les pensées qu’il leur prête. Ce sont là des évidences, dont on s’étonne que la Grande Mosquée de Paris, si elle est de bonne foi, ne les ait pas vues…

Plus intéressant encore est le fait que la Grande Mosquée déclare : « Il légitime comme un fait acquis une opposition essentielle entre « les musulmans » et « les Français de souche », pour dire que les musulmans ne seront jamais de vrais Français ». À aucun moment Michel Houellebecq n’affirme que seuls les « Français de souche » seraient de vrais Français, c’est la Grande Mosquée et elle seule qui le dit ! Lapsus révélateur ? Après tout, l’ancien recteur de cette institution, Dalil Boubakeur, avait écrit en 2003 « la nationalité musulmane est une supranationalité […] elle est au-dessus de toutes les nationalités. » Dans des publications récentes, la Grande Mosquée parle de « communauté algérienne à l’étranger », notamment pour organiser des voyages en Algérie à destination d’enfants de cette communauté, sans qu’il soit bien clair s’il s’agit d’expatriés algériens ou de personnes de nationalités européennes mais d’origine algérienne – la concomitance des messages laisse toutefois supposer que « Français d’origine algérienne » et « communauté algérienne à l’étranger » sont, pour la Grande Mosquée et ses partenaires, des termes interchangeables. En 2021, à l’occasion des élections présidentielles, le recteur actuel Chems-Eddine Hafiz, s’exprimant sur une chaîne de télévision algérienne, a critiqué le « ciblage de l’Algérie » par plusieurs candidats, disant d’eux « ils sont devenus fous », et « lance donc un appel aux Algériens de participer massivement le jour du vote et de jouer un rôle important dans la politique française. Je dis aux Algériens, vous avez la nationalité française, vous devez tenir compte de ce problème dont dépend votre avenir en France. » La Grande Mosquée de Paris va-t-elle porter plainte contre son recteur, qui selon ses propres déclarations, considère les Français d’origine algérienne comme des Algériens ayant la nationalité française, donc des Algériens, et non des Français ?

Plus anecdotique, mais sans doute pas dénué de signification, sur son compte Twitter Chems-Eddine Hafiz n’a publié aucun message sur l’équipe de France de football à l’occasion de la Coupe du Monde, mais deux sur l’équipe du Maroc… L’un portant une illustration où il est écrit « Marocains, Maghrébins, Africains, Arabes, on rugit ensemble », l’autre un simple retweet. Entendons-nous bien : le recteur n’est en rien tenu de soutenir l’équipe de France, et a parfaitement le droit de s’enthousiasmer pour celle du Maroc ! Reste que la manière dont il le fait s’ajoute aux éléments précédents pour laisser supposer que ce n’est pas Michel Houellebecq qui a le plus tendance à ramener sans cesse les Français originaires de pays musulmans à leurs origines…

Qui incite à la haine ?

Et puisque dans ses accusations, la Grande Mosquée de Paris parle de « provocation à la haine » et écrit que « la lutte contre toutes les discriminations est un devoir », il n’est pas inutile de se souvenir de certains « titres de gloire » de cette institution et de son recteur :

  • Ainsi, juste après la tentative d’assassinat par égorgement contre Salman Rushdie, Chems-Eddine Hafiz n’avait rien trouvé de mieux que de tweeter (face au tollé suscité, il a depuis effacé son message) : « Samedi 13 août 2022 – Les Croyants se prosterneront alors que les mécréants ne le pourront guère, leur dos restera raide et lorsque l’un d’eux souhaitera se prosterner, sa nuque partira dans le sens inverse comme faisaient les mécréants dans ce monde, contrairement aux Croyants. »
  • En 2002, celui qui n’était pas encore recteur mais avocat de la Grande Mosquée de Paris considérait que la liberté d’expression n’inclut pas le droit de « heurter le sentiment religieux », mais cela ne l’a jamais empêché de promouvoir un livre, le Coran, qui insulte les divinités féminines (sourate 4 verset 117), appelle à la mise à mort ou à la conversion forcée des polythéistes (sourate 2 versets 191 et 193, sourate 8 verset 39, par exemple), les traite d’impuretés (sourate 9 verset 28) et espère l’anéantissement des juifs et des chrétiens (sourate 9 verset 30). Voilà pour le moins de quoi « heurter le sentiment religieux » des polythéistes, des juifs et des chrétiens ! Faudrait-il dès lors interdire le Coran ? Et d’ailleurs, dans le concours de récitation du Coran de la Grande Mosquée, tous ces versets faisaient-ils partie du « programme » ?
  • Le 30 décembre 2022, il tweetait : « Ô Allah, prie sur le meilleur homme d’entre nous, Muhammad ». Certes, il n’appelle pas explicitement à suivre l’exemple du Prophète de l’islam, mais qualifier de « meilleur homme d’entre nous » quelqu’un qui s’est notamment distingué par de nombreux massacres sur des bases ethniques ou religieuses, si l’on en croit la tradition islamique elle-même, pose question.
  • Et on rappelle une fois encore que fin 2021 la Grande Mosquée se flattait d’avoir fait apprendre par cœur et réciter aux enfants les « 40 hadiths nawawi », cette expression désignant un recueil dans lequel on trouve notamment deux citations très révélatrices (le lecteur soucieux de vérifier en trouvera aisément des traductions en ligne, assorties ou non de commentaires, sur des sites peu suspects « d’islamophobie » par exemple ici) : le hadith n°8 « Il m’a été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’est d’autre divinité qu’Allah, et que Mohammed est Son Envoyé, qu’ils accomplissent la prière rituelle, qu’ils acquittent l’impôt religieux » et le hadith n°14 « Il n’est pas licite de faire couler le sang du musulman, sauf s’il s’agit d’un des trois coupables que voici : le fornicateur dont le mariage a été consommé (en clair, le coupable d’adultère), le meurtrier qui subira le sort de sa victime, et l’apostat qui se sépare de la communauté musulmane. » Chacun jugera si faire réciter ces passages à des enfants constitue ou non une « provocation à la haine », et s’ils encouragent une « discrimination » entre musulmans et non-musulmans, en particulier en ce qui concerne les apostats de l’islam. On imagine en tout cas les réactions si un mouvement politique, notamment de droite, faisait réciter aux enfants de ses militants quelque chose comme « il est interdit de faire couler le sang d’un de nos membres, sauf s’il se convertit à l’islam », ou « il m’a été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils se plient à l’autorité de notre parti ».

A lire aussi : Une kasbah bien accueillante

Une foi au-dessus des lois?

Enfin, soulignons que le recteur ne semble pas avoir trouvé d’autre moyen de défendre ses coreligionnaires qu’au mépris de la vérité. Ainsi, lorsqu’il déclare que « 95% de la population musulmane de France vit normalement dans notre société », soit il a de la normalité une vision très particulière, soit il ignore ou fait mine d’ignorer la réalité que montrent toutes les études réalisées sur le sujet (selon l’Ifop, deux tiers des musulmans de France sont opposés à la critique des religions, d’après un sondage réalité pour le Comité Laïcité République 57% des jeunes musulmans jugent la Charia plus importante que les lois de la République, et selon un autre sondage 26% des jeunes musulmans refusent de condamner l’attentat contre Charlie, entre autres chiffres….). N’oublions pas les propos d’Emmanuel Macron lui-même qui a déclaré il y a moins d’un an qu’une interdiction du port du hijab dans l’espace public provoquerait une guerre civile. Y aurait-il un tel risque si seulement 5% des musulmans ne vivaient pas normalement dans notre société ? Au demeurant, est-ce « vivre normalement dans notre société » que de choisir de porter le symbole d’une adhésion ostentatoire à une idéologie sexiste et déshumanisante (on lira à ce sujet le remarquable travail de Razika Adnani) ? Or, il semble qu’environ un tiers des musulmanes de France le portent, ce qui en considérant qu’il y a statistiquement autant de femmes que d’hommes représente environ un sixième de la population musulmane de France, soit trois fois plus que l’évaluation bien étrange de Chems-Eddine Hafiz. Celui-ci semble décidément beaucoup plus soucieux de convaincre les non-musulmans de baisser la garde face à l’islam que de procéder à l’auto-critique dont sa religion aurait pourtant grand besoin….

Bien sûr, ce sont les propos de Michel Houellebecq qui sont à présent sur la sellette, et non ceux de la Grande Mosquée de Paris et de son recteur, ou leur enseignement. Reste qu’ils jettent un éclairage particulièrement intéressant sur les convictions de ces derniers, et partant sur leurs probables motivations. Dès lors, la question n’est pas de savoir si Michel Houellebecq a raison ou tort sur le fond, mais s’il doit lui être permis de dire ce qu’il a dit et, tout aussi important, s’il doit être permis à la Grande Mosquée de Paris de le faire taire. A tout le moins, on observe sur les réseaux sociaux que malgré la complaisance de nombreux médias, cette affaire a le mérite d’attirer largement l’attention sur les ambiguïtés d’une institution trop proche du pouvoir (on pense à « l’iftar républicain » en soutien à Emmanuel Macron…), et sur l’écart saisissant entre ses intentions déclarées et une part importante de ce qu’elle fait et de ce qu’elle enseigne.




Article précédent Stéphane Rozès, lucide et sans concession
Article suivant Causeur: Arrêtez d’emmerder les automobilistes!
Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération