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La Grande Guerre et le déclin des hommes

La cause des hommes.


Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des moeurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Voilà deux ans exactement, le 11 novembre 2020, Maurice Genevoix entrait au Panthéon. Les réussites d’Emmanuel Macron sont assez rares pour qu’on se félicite d’une décision qu’on lui doit. Choix d’autant plus louable qu’il a su résister aux groupes de pression LGBT qui militaient pour Rimbaud et Verlaine, non en tant que poètes, sinon accessoirement, mais en tant qu’homosexuels, pour autant qu’ils le fussent.

Avec l’admirable Maurice Genevoix, Ceux de 14 sont entrés au Panthéon, clôturant le cycle des commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Leçon d’histoire : les souffrances inouïes endurées par ces hommes cadrent mal avec les privilèges que la vulgate féministe accuse le genre masculin de monopoliser. Quand on lit le récit des quatre mois d’atroces carnages que les poilus ont traversés en 1915 dans le froid, la neige et la boue pour prendre la crête des Éparges, difficile d’avaler sans broncher les accusations contre ce monopole ou les plaintes acerbes contre la « masculinité toxique ». Toxique pour les femmes fragiles, sans doute, mais d’abord pour les hommes depuis toujours soumis aux étripages guerriers.

Il arrive qu’on entende l’argument suivant : pour les hommes ?, mais ces guerres, ce sont eux qui les veulent, pas les femmes. Soit. À ceci près qu’ils les font plutôt qu’ils ne les veulent. Le paysan breton mobilisé pour aller se faire trouver la peau, ou le moujik, ou le soldat Ryan, ou n’importe quel troupier des énormes boucheries, on ne leur demande pas leur avis, forcés d’obéir aux képis étoilés qui les manœuvrent sur les cartes d’état-major. Cette chair à canon des conscrits, c’est la leur, vouée à protéger femmes et enfants des horreurs perpétrées par l’ennemi. Se faire mitrailler en masse, amputer, brûler, éventrer par amour de la patrie, exposer son corps aux boulets, obus, lance-flammes, baïonnettes, merci pour le privilège. Le patriarcat comme moteur des guerres, peut-être. Mais les soldats comme premières victimes, sûrement, défenseurs sacrificiels commis d’office sur la ligne de front. L’Ukraine à nos portes en fournit un exemple frappant.

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Ce n’est pas dire que la guerre épargne les femmes. Elles en souffrent dans la douleur des pertes, celles de leur mari, compagnon, père, fils, dont rien, en matière de courage, ne les différencie. Elles subissent de plein fouet les duretés inhérentes aux conflits, violences sexuelles incluses. Leurs qualités ne sont donc pas en cause, c’est la réalité des vagues d’assaut qui l’est.

Lors de la commémoration du centenaire, des voix réclamèrent que l’on honore à parité l’épouse du soldat inconnu. Ce serait dédoubler abusivement la flamme. Se substituer aux combattants n’est pas mourir à leur place. Pour rude qu’il soit, le travail en usine ou aux champs n’équivaut pas au martyre des tranchées, et les noms qui s’alignent sur les monuments aux morts sont toujours des noms d’hommes. Allez en Normandie visiter les cimetières militaires qui s’étendent aux abords des plages du débarquement. De Verdun à Ohama Beach en passant par tous les théâtres d’opérations, le souvenir de tous ces fantômes couchés sous les croix blanches a de quoi bouleverser. Les militantes ont l’oubli facile. Un peu de respect et de compassion avant de s’insurger à hauts cris contre les privilèges masculins jugés exorbitants.

L’histoire du féminisme a partie liée avec celle de la guerre, qui par définition implique le rôle et l’image des hommes. Quand le prestige de l’uniforme disparaît, l’admiration portée aux héros s’étiole. Revoyons Capitaine Conan, ce film où un formidable Torreton multiplie les actes de bravoure dans les Dardanelles. À la fin du film, la paix revenue, le glorieux combattant est un héros déchu. Le symbole affiche sa logique : les femmes ayant, durant la Grande Guerre, prouvé leur capacité à remplir les tâches jusqu’alors assumées par les hommes, ceux-ci, pourtant vainqueurs, chutèrent de leur piédestal. Remplacés ils avaient été, remplaçables ils devinrent.

Auréolés de lauriers, mais diminués par la boucherie tant sur le plan du nombre que de la répugnance désormais attachée aux combats qu’ils avaient menés – la der des ders, plus jamais ça, matrice du pacifisme aveugle aux futures menaces –, les hommes durent réinventer des statuts impossibles à récupérer. Les femmes n’entendaient pas revenir au foyer pour s’y enfermer. Elles advinrent avec leurs talents révélés, enrichies de compétences inédites, sur la scène économique et sociale revisitée par les tueries. Un million de jeunes gars en moins, cela compte dans un pays de 40 millions d’habitants.

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Dans de tout autres conditions, les hommes se trouvent à présent confrontés à l’effacement des motifs d’admiration dont ils tiraient bénéfice. Qu’admirer en eux dont les femmes manqueraient ? Quels mérites capables de justifier aujourd’hui leur prééminence ancienne ? Plus grand-chose ne les distingue. Conscription supprimée, armée de métier de surcroît féminisée (tout comme le sport, version miniature du champ d’honneur), entre eux et les femmes, tout se ressemble. En perdant leur prestige militaire, ils ont perdu le socle de leur autorité. Peine aggravante, les femmes démontrent une nette supériorité dans la réponse aux besoins d’une économie tertiaire. La révolution morale à laquelle nous assistons procède de ce renversement. Et comme les femmes ont le vent en poupe, forcément elles tendent les voiles. Si bien que selon la binarité primaire, désormais les dominées dominent.

D’innombrables hommes, surtout parmi les jeunes, restent les bras ballants. Des avantages autrefois acquis par le sang versé, ils ne conservent aucune médaille. La paix les a rapetissés. Continuer de les amoindrir n’est pas de bonne politique. Il faut les aider à trouver leur place au sein des nouveaux codes du nouveau monde. Vaste entreprise, à l’extrême opposé de l’idéologie progressiste exclusivement promue à leur détriment. L’enjeu saute aux yeux : il est de rétablir une égalité avec les femmes non sur le plan des droits, qui sont équitablement partagés, mais sur celui du rôle social, de l’image de soi et finalement du sens de la vie dont la révolution morale les dépossède, au risque d’un déséquilibre contraire aux intérêts bien compris de l’un comme de l’autre sexe et de la société tout entière.

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Universitaire, romancier et essayiste

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