Gilles Clavreul ne lit pas Causeur. Dommage pour lui, car comme le disait Montaigne, il gagnerait à frotter sa cervelle contre celle d’austruy. Il apprendrait que le désaccord est une chose fort amusante. Mais Clavreul ne rit pas avec n’importe qui.
Le 19 novembre, Gilles Clavreul s’étrangle en découvrant sur notre site internet l’entretien que l’ami Jean-Baptiste Roques a tourné avec Thaïs, jeune militante de Génération identitaire. Il ne mange pas de ce pain rassis. Pas lui, pas ça. Il le fait savoir sur Facebook :
« Comme je ne lis pas Causeur, j’étais passé à côté de ce publi-reportage en faveur du groupuscule d’extrême-droite Génération identitaire datant de fin juin dernier. C’est comme une vidéo d’AJ+, la chaîne qatarie, mais en version réac qui s’assume.
Voilà pourquoi il n’y a rien de commun entre ceux qui défendent les principes républicains et cette droite qui se veut iconoclaste en faisant des clins d’œil à des petits fafs en bomber. On ne peut pas être républicain et identitaire à la fois, on ne peut pas se trouver de luttes communes, on ne peut pas s’allier, en aucune circonstance. Ligne rouge infranchissable. » J’apprends que le bomber[tooltips content= »Pour ma mère et celle des autres : un bomber (prononcer « bombeur ») est un blouson. J’ai dû en avoir un ado. Il n’y a pas de hasard. »](1)[/tooltips], c’est facho. Et « réac qui s’assume », c’est un compliment ?
Si je vous cause des offuscations de cet estimable garçon, l’un des fondateurs du Printemps républicain[tooltips content= »Il a fait un très bon travail lorsqu’il était à la tête de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, refusant de
noyer le poisson de l’antisémitisme des quartiers. »](2)[/tooltips], ce n’est pas pour nous disculper de l’accusation de complicité avec la bête immonde, qui nous indiffère totalement, mais parce qu’elles sont emblématiques des ambigüités de cette « gauche Charlie » (également dite républicaine) qui après des années d’antifascisme en peau de lapin, ne se trompait plus d’ennemi, c’est même pour ça qu’elle a rompu avec le reste de la famille. Elle avait compris que le vrai danger, pour le pays, venait de l’islam radical et de ses alliés extrêmes gauchistes. Elle avait arrêté d’engueuler la France des églises et des bistrots, dont elle paraissait même partager le désir coupable de défendre les mœurs et la culture françaises en France. Bref, on croyait être d’accord sur l’essentiel, en particulier l’urgence du combat commun.
On s’est trompés. On dirait qu’on n’est même pas d’accord pour s’engueuler. Certes, il reste des francs-tireurs qui préfèrent la réflexion aux réflexes, la preuve par Élisabeth Badinter, Richard Malka, Philippe Val et quelques autres, qui se fichent autant d’être accusés de dérive droitière que d’islamophobie. Chez nombre de militants « laïques et républicains », le naturel (ou l’inconscient) de gauche revient au galop, les mêmes travers collés à ses sabots : sectarisme, bonne conscience, aveuglement.
Clavreul et ses amis politiques tiennent des propos qu’on pouvait entendre il y a vingt ans dans la bouche de Le Pen
Passons sur le refus de l’altérité idéologique, qui est dans l’ADN du « parti de l’Autre ». Gilles Clavreul pourrait répondre à Thaïs, mais il y a des gens avec qui on ne parle pas, des fois que leurs idées seraient contagieuses – d’ailleurs il a été longtemps question de les isoler derrière un cordon sanitaire, maintenant on dit « ligne rouge », il y a du progrès. En somme, il est pour la liberté de penser comme lui. Pour ma part, je trouve les identitaires un brin trop « France blanche », mais j’aime bien discuter avec eux. D’ailleurs, nous avons aussi publié un texte de Cyril Bennasar sur « la remigration » (des délinquants étrangers) proposée par Génération identitaire. Je parle avec Aurélien Taché et Rokhaya Diallo. Qu’il soit impossible de parler avec Gilles Clavreul, c’est un peu triste.
Cette obsession de l’extrême droite est d’autant plus incompréhensible que, sur l’immigration et l’islam, Clavreul et ses amis politiques tiennent des propos qu’on pouvait entendre il y a vingt ans dans la bouche de Le Pen (blagues de pétomane en moins il est vrai) et il y a trente ans dans celle de Chirac. Il est vrai que la réalité a changé. Mais eux veulent croire qu’ils n’ont pas changé. Alors, quand ils entendent le mot « identité », ils sortent leur République, comme on brandirait un crucifix devant un vampire. « On ne peut pas être républicain et identitaire », assène Clavreul. Première nouvelle. Et mon Général, il était intersectionnel ?
Certes, ce sont des bisbilles de café du commerce numérique. Seulement, nous sommes supposés mener une guerre idéologique et sur le champ de bataille, mieux vaut savoir sur qui on peut compter. Charlie Hebdo ne veut pas du soutien de Ménard. Clavreul « ne peut pas s’allier, en aucune façon » avec les identitaires (ni avec Causeur, « qui leur fait des clins d’œil »). C’est la nouvelle thématique à la mode de la « tenaille identitaire » qui permet de ne pas choisir entre la peste islamiste et le choléra populiste. Si on comprend bien, en 1940, il aurait refusé de rallier Londres pour cause de « ligne rouge infranchissable » avec les maurrassiens antisémites qui s’y trouvaient. Les renvoyeurs dos à dos finissent souvent en apôtres de l’apaisement.
Autant dire que, pour l’union sacrée dont on nous rebat les oreilles après chaque attentat, on attendra. Tant pis, on se passera de ces alliés aux délicatesses de jeunes filles, qui d’ailleurs comptent de moins en moins de divisions, ceci expliquant largement cela. Et puis, beaucoup semblaient si heureux de retrouver leurs vieux copains et leurs vieux slogans : les manifestations contre la loi « sécurité globale » (et son article 24 qui interdit, non pas de filmer, mais de diffuser le visage de policiers) ont été l’occasion d’une reconstitution de gauche dissoute délicieusement vintage. Brailler contre le fascisme imaginaire de Macron et Darmanin, c’est marrant et c’est sans danger. Et voilà pourquoi votre gauche est muette.