La garde à vue à la française ? Condamnée. Le jeu de mot est facile, c’est vrai, mais résume parfaitement une situation devenue intenable.
Le citoyen la redoute pour un oui ou pour un non (défaut de présentation du permis, « outrage », etc.), les avocats la dénoncent comme attentatoire aux droits de la défense et en appellent au Conseil constitutionnel, les magistrats forts de la jurisprudence européenne en annulent désormais à la chaîne, et il n’est pas jusqu’à certains représentants des forces de l’ordre qui s’élèvent contre « une politique du chiffre bête et méchante », qui conduit au trou le dealer comme le râleur. Le gouvernement semble, lui aussi, avoir pris la mesure du problème : le Premier ministre comme la garde des sceaux jugent ahurissant le nombre de gardés à vue – bientôt un million par an ? – et appellent à la réforme.
Comment du reste pourrait-il en être autrement ? La « gav », telle qu’elle est pratiquée chez nous, est devenue pour le citoyen lambda une source d’angoisse et d’humiliation.
D’angoisse, parce qu’une fois interpellé, il se retrouve complètement isolé de sa famille, de ses proches et, le cas échéant, de son employeur. D’humiliation aussi, tant le programme des réjouissances est complet : menottes, fouille à nu (dans des locaux chauffés ou non), accroupissement obligatoire destiné à vérifier les « cachettes » les plus intimes de l’interpellé, cellules bondées où le malchanceux et le criminel cohabitent dans les fumets d’urines, passant la nuit sur des bancs de béton, sans couvertures ni oreiller, éclairés continûment par des spots dignes d’un stade. Telles sont les conditions systématiques de la garde à vue en France. Pas pour les seuls clandestins ou les pauvres hères : pour tout le monde. Sans exception.
Halte aux trémolos, nous dit-on ! L’urgence du changement est admise par le pouvoir. Pour preuve : l’avant projet de réforme du Code de Procédure Pénale[1. Lequel s’inspire largement du rapport du Comité dit « Léger », cela ne s’invente pas…], présenté ces derniers jours par Michèle Alliot-Marie. Le hic, c’est qu’on y trouvera rien, strictement rien, de nature à s’attaquer au fond du problème, c’est-à-dire à l’esprit même de notre procédure pénale, en théorie inquisitoire, en réalité inquisitoriale.
Nous sommes, en effet, dans un pays qui a pour culte la religion de l’aveu. Contrairement à nos partenaires européens, qui privilégient l’enquête et les éléments de preuve qu’elle peut fournir avant même que soit interrogé un suspect, en France, c’est bien souvent sur ses seules auditions que vont reposer les charges retenues contre lui.
La « gav » est ainsi très souvent infligée au supposé délinquant comme la préventive au mis en examen : dans l’intention de le faire craquer.
La suggestion de Mme Alliot-Marie de créer une retenue judiciaire de quatre heures des interpellés encourant une peine de moins de cinq ans d’emprisonnement, et ce sans avocat, est d’ailleurs dans la droite ligne de cette collecte d’aveux à tout prix. Collecte favorisée précisément par l’absence d’avocat, dans des conditions d’enfermement telles que l’interpellé sera enclin à collaborer afin que cesse le cauchemar éveillé de sa détention. Et, d’autre part, par la faculté donnée aux policiers d’en maîtriser le calendrier – exemple parmi bien d’autres : un même dossier de présumées violences conjugales sera traité, selon le bon vouloir des commissariats, en quatre ou en quarante-huit heures. Vive l’Etat de droit !
Comment, dès lors, mettre un terme à cette aberration ? N’en déplaise aux policiers qui considèrent les avocats comme des « commerciaux » : autoriser la présence immédiate de l’avocat aux côtés de son client est la première urgence. Il devrait dorénavant lui être permis, et ce dès la première heure de « gav » : l’accès au dossier, la possibilité de préparer son client en conséquence, le suivi de ses conditions d’enfermement.
À ceux qui demanderont si c’est faisable, on répondra que c’est déjà le cas en Espagne, démocratie assez récente dont nous serions avisés de nous inspirer. Et cela ne suffirait pas encore : seule la présence de l’avocat à toutes les auditions du prévenu, ainsi que cela se passe aux Etats-Unis, nous ferait enfin basculer dans un Etat de droit digne de ce nom. La règle devrait aussi simple que stricte : une audition sans avocat sera réputée nulle et non avenue. Donc inutilisable.
Il y aura aussi beaucoup à faire du point de vue logistique. Concernant les locaux, il n’y a pas à tortiller : l’Etat devra bourse délier. Hygiène, promiscuité, privation de sommeil (notamment par l’imposition d’un éclairage permanent) : autant de conditions honteuses, commandées par la politique de l’aveu et auxquelles il faudra remédier illico presto. N’hésitons pas, là aussi, à prendre exemple sur nos voisins britanniques, pour lesquels l’existence de cellules individuelles, propres et chauffées, ainsi que des vêtements de rechange relèvent des conditions légales.
Les pouvoirs publics pourraient enfin décider que les interpellés manifestement sans danger pour autrui et pour eux-mêmes pourraient faire état dès le stade du commissariat, par l’intermédiaire de leur famille ou de leur avocat, de leurs garanties de « représentation » (adresse fixe, bulletins de salaire, caution symbolique le cas échéant) 2. Et être relâchés sur le champ.
Voici des réformes qui, à bien y réfléchir, n’ont rien d’exorbitant. Qui devraient être le B.A.-BA d’un Etat de droit. Qui sont hélas toujours inexistantes chez nous.
Et ajoutons un dernier mot à l’intention de tous ceux qui, pour être convaincus de leur bien-fondé, y rechignent parce qu’elles feraient le jeu des crapules dont la place est derrière les barreaux : la réforme de la garde à vue aurait pour conséquence immédiate et massive d’en faire diminuer le nombre. Diminution – qu’on y songe… – qui rendrait, chaque week-end, chaque soir, des milliers de policiers au terrain, contribuant ainsi à restaurer la sécurité dans nos rues.
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