Le principal syndicat enseignant, la FSU, dont on connaît particulièrement la branche du primaire, le SNUIPP, qui syndique 80% des « professeurs des écoles », ou celle du secondaire, le SNES, se félicite d’avoir appelé à voter Macron… et rend le libéralisme responsable de la montée de l’extrême-droite. On lui dit que Macron est un ultra-libéral ?
Cocorico ! « La FSU se félicite que le danger immédiat d’une accession au pouvoir de l’extrême droite à l’occasion de l’élection présidentielle, soit écarté. » [1] Et de rappeler que « la FSU avait appelé à la battre politiquement, le résultat de ce soir est une étape qui va dans ce sens. » Bon. Pourquoi pas ? Je connais un peu Marine Le Pen, je sais qu’elle n’est pas d’extrême-droite (elle est globalement centriste, ni raciste ni homophobe ni antisémite), mais tout le monde peut se tromper. La FSU en sait manifestement plus que moi.
Mais chez les marxistes (ou ceux qui se croient tels, parce que de Marx à Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU, il y a un gouffre, on peut être professeur d’Histoire-Géographie et nul en dialectique), la contradiction réside au sein même de l’affirmation. « Le danger continue bien d’être présent et l’extrême droite de se renforcer, élection après élection ». Et de préciser : « Ce sont les politiques libérales, leur captation de toutes les richesses produites et leur lot d’individualisation et de dégradation des conditions de vie qui favorisent cette progression. » Ciel ! Mais ce que la FSU décrit là, c’est la politique de celui qu’elle a appuyé au second tour !
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Peu lui chaut : « C’est aussi le rejet du bilan d’Emmanuel Macron, des politiques inégalitaires, liberticides et répressives qu’il a mises en œuvre durant cinq ans qui ont poussé nombre d’électeurs et électrices à faire un tel choix. Or Emmanuel Macron a présenté un projet électoral qui entend bien accélérer ces politiques produisant ressentiment et désespérance sociale, aggravant les inégalités, divisant la société. L’intention affirmée par Emmanuel Macron pendant la campagne de continuer sa politique de casse des solidarités en remettant en cause les retraites et les services publics, en prévoyant d’accélérer la fragilisation du service public d’éducation et du statut de ses personnels, en liant l’obtention du RSA à du travail gratuit sont inacceptables. »
Franchement, j’aurais un candidat aussi révulsant, j’éviterais de voter pour lui. J’aurais sans doute au premier tour voté Mélenchon, l’homme de l’intersectionnalité des luttes et de la laïcité à géométrie variable (ça, Jean-Luc, c’est un péché mortel que tu traîneras au paradis des athées — mais tes copains de l’UOIF savent-ils que tu ne crois en rien, sinon en ton destin ?). Mais je me serais abstenu au second. On se rappelle peut-être ce que disait le PCF au second tour de l’élection présidentielle de 1969, qui opposa Pompidou à Poher : « Blanc bonnet bonnet blanc », ricana Jacques Duclos — qui avait réuni sur sa tête plus de 21% des voix au premier tour, un score comparable à celui de Mélenchon aujourd’hui. Et les communistes laissèrent gaullistes et centristes s’étriper comme ils pouvaient.
J’attendais une attitude identique de la part de Mélenchon, et de tous ceux qui avaient voté pour lui — à commencer par les troupes vives de la FSU, qui se sont bien gardées de voter Hidalgo. La FSU, qui n’est pas à une contradiction près (la dialectique, camarade, ne casse pas de briques) évoque d’ailleurs un « choix intenable de second tour ». Dans ce cas-là, on va à la pêche.
Mais Mélenchon rêve d’une cohabitation qui lui donnerait le pouvoir, et il a fait une bonne manière à Macron — qui du coup a fait un score énorme (plus de 85%) à Paris et dans la proche banlieue, où les Insoumis avaient bien figuré au premier tour : les reports de voix islamo-gauchistes sur Macron se sont bien effectués. En fait de pêche, c’était la pêche aux voix.
Ah, mais c’était juste un « vote contre »… N’empêche : vous avez aidé à élire le représentant du libéralisme que vous dénoncez, chers collègues. C’est schizoïde comme attitude.
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La chute (du communiqué) est donc attendue et inattendue « en même temps » : « Forte de sa légitimité à s’exprimer et à revendiquer, la FSU entend donc poursuivre et amplifier les mobilisations pour imposer dès maintenant d’autres politiques économiques, sociales et environnementales. »
Il ne fallait pas voter Macron, mes amis. Le Pen élue, vous aviez un boulevard devant vous pour manifester colère et revendications. Mais quelle est votre légitimité de vous opposer demain à un homme que vous avez puissamment contribué à re-porter au pouvoir ? Vous avez manifesté votre mauvaise humeur dans toutes les réunions organisées au ministère de l’Education depuis cinq ans. Et vous allez remettre ça ? Vous n’en avez pas marre d’être inefficaces, d’animer toutes les deux semaines des grèves d’une journée qui désorganisent la vie de classe et amusent le ministre, et de demander « des postes, des postes, des postes » — alors même que vous savez que le vivier d’enseignants est à sec ?
Au passage, voici quinze ans que vous m’attaquez — pour rien, sinon pour défendre ceux d’entre vous qui ne se contentent pas d’être de médiocres syndicalistes et de piètres enseignants (heureusement déchargés de presque toute présence en classe), mais guignent aussi un poste d’Inspecteur Pédagogique ou une promotion sur tapis vert. Cela finit par m’amuser : je m’en voudrais d’être approuvé par des petits esprits qui se croient de gauche et ne parviennent qu’à intriguer pour que leurs enfants — pas ceux des autres — soient dans les « bons » lycées, les « bonnes » formations — quitte à les mettre dans le privé. Mais bon, quand on est schizophrènes, n’est-ce pas…
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[1] https://fsu.fr/lextreme-droite-battue-continuons-nos-combats-pour-consolider-la-democratie-et-agir-pour-le-progres-social-des-le-1er-mai-mobilisons-nous-pour-les-salaires-les-emplois-les-conditions-de-travail/