L’extrême gauche, l’extrême droite et l’extrême centre ne sont pas trois blocs sortis des urnes lors de cette présidentielle. Ils sont là depuis cinq ans. La nouveauté est la normalisation de Marine Le Pen, l’ancrage communautaire de Jean-Luc Mélenchon, et la confirmation que le clivage politique a laissé place au clivage social.
Causeur : Plus que ses idées et ses actes, c’est la personne Emmanuel Macron qui domine notre paysage politique. Dans quelle mesure le rejet de sa personne a-t-il joué un rôle dans cette élection ?
Frédéric Dabi. Je voudrais nuancer un peu votre observation. Selon nos études il a achevé son quinquennat mieux que ses trois prédécesseurs. Hollande avait même décidé ne pas se représenter… Macron entretient certes une relation très singulière avec la popularité. Après les Gilets jaunes, il a connu une période de trois ans bénits. Avec le « grand débat » puis la séquence électorale européenne, il gagne 15 points et, avec la crise sanitaire, sa popularité s’est stabilisée autour de 40 %, sans que rien ne vienne perturber cette performance, alors que Hollande et Sarkozy payaient cash chaque écart. Ainsi, l’indéniable rejet épidermique dont il fait l’objet est minoritaire quoiqu’amplifié par les réseaux sociaux. En revanche, contrairement à Sarkozy qui avait subi aussi un rejet terrible, Macron n’a pas de fans, de véritables soutiens passionnés. Certes, il suscite une certaine admiration ; il est jeune, il présente bien, il affronte les crises, mais il n’y a aucune adhésion charnelle. Si, pour Sarkozy, le rejet s’exprimait par une certaine moquerie, avec Macron, c’est plutôt une forme d’envie ou de jalousie par rapport à quelqu’un dont on pense qu’il n’a pas souffert et qui a tout pour lui.
Nous avons désormais deux systèmes parallèles, un local et un national
Jean-Luc Mélenchon a fait un énorme bond (de 4 à 7 millions de voix, + 75 %) entre 2012 et 2017, et en 2022 il a encore progressé de 10 % (700 000 voix de plus). Marine Le Pen, déjà haute en 2012 avec 6,4 millions de voix, a atteint, au premier tour, 7,6 millions de voix en 2017 et même 8,1 millions en 2022. Macron a également fait un grand bond entre 2017 et 2022, en gagnant 1,2 million de voix. Autrement dit, les trois blocs dont on parle depuis le 10 avril sont déjà là depuis au moins cinq ans…
Exactement. En 2017, on avait vu une France coupée en quatre. En 2022, le bloc Fillon a été disloqué : 40 % des fillonistes ont voté Macron et une partie équivalente est allée chez Zemmour et Le Pen. Pécresse n’a conservé qu’un électeur de Fillon sur cinq. Ce triple bloc est en croissance depuis 2017 : il fait presque 75 %, alors qu’en 2017, les quatre blocs faisaient un peu plus de 80 %. Cette progression traduit l’évolution du champ politique. Entre 2012 et 2017, c’est la fin de la bipolarisation. Déjà aux élections intermédiaires de 2014 ou 2015, l’opposition gauche/droite
