La nouvelle loi en préparation « contre les séparatismes » montre surtout la faiblesse de la France. On va encore légiférer, parler, discuter, débattre, ergoter sur les mots… Au lieu d’agir.
Une nouvelle loi se prépare contre « les séparatismes ». On ne parle déjà plus de l’islam politique, ni de l’islam radical, ni même « du » séparatisme. On noie déjà le poisson. Après cela, on discutera, on débattra, on ergotera, on se disputera, on s’insultera même, mais on n’agira pas. C’est devenu, dans notre pays, comme une seconde nature.
À lire aussi, Jean-Luc Vannier: «La laïcité est donc la religion de la France ?»
Bourguiba et « L’État, c’est moi »
Lorsque, en 57, Bourguiba arrive au pouvoir en Tunisie, il charge immédiatement l’avocat Ahmed Mestiri, son jeune Ministre de la Justice, de mettre en place les dites « Lois de statut personnel ». Il est tellement persuadé de l’importance fondamentale de ces lois qu’il dira plus tard à un autre Ministre, Béji Caïd Essebsi (devenu à son tour, en 2014, Président de la République), qu’il ne savait pas s’il aurait pu les promulguer s’il avait attendu seulement 6 mois…
Comme on le sait, ces lois imposent à la Tunisie un certain nombre de dispositions laïques, surtout concernant les femmes : égalité hommes/femmes, droit au divorce pour les femmes, etc… Ces lois libératrices mettent très clairement le pouvoir religieux de la Zitouna, la grande mosquée de Tunis, sous la coupe du pouvoir politique. Les tunisiennes y sont très attachées, mais aussi leurs maris, qui sont heureux de vivre avec des femmes libres, plutôt qu’avec des esclaves sociales. C’est si vrai que lorsque, au moment de la rédaction de la Constitution, après la Révolution du Jasmin de 2010, les constituants majoritaires d’Ennahda, le parti des Frères Musulmans, voudront subrepticement remplacer l’expression « égales de l’homme » par le mot « complémentaires », elles descendront en masse dans la rue pour protester, et leurs maris les y suivront, fiers de les soutenir. Ennahda retirera vite sa proposition.
On connaît les Lois de statut personnel. Mais ce qu’on ne sait pas, en général, c’est que parallèlement à cela, Bourguiba fait construire, dans tous les villages ou presque, des mosquées modestes, pour que les « petites gens » puissent y prier pacifiquement.
Par ces deux actes politiques parallèles, audacieux et même magistraux, Bourguiba dépolitise en une seule fois l’islam de son pays. Il coupe définitivement les velléités politiques du pouvoir islamique de la Zitouna, tant par le haut (lois de statut personnel) que par le bas (mosquées provinciales). Il ne parle pas, il ne disserte pas sur l’islam radical, ni sur l’islam politique, ni sur l’islam tout court, mais il affirme simplement, par les actes, la primauté et la verticalité du pouvoir politique. « L’État, c’est moi », en quelque sorte. Malgré les vicissitudes ultérieures, la Tunisie vit encore sous ces lois, et les tunisiens et tunisiennes y restent très attachés. Elles sont une de leurs fiertés.
Immédiatement, alors, se pose une question : « Pourquoi ce que Bourguiba a su faire, dans un pays de culture totalement musulmane, pour réduire le pouvoir islamique, nos dirigeants n’arrivent pas à le faire, dans un pays laïque et de culture chrétienne ? Pourquoi cette faiblesse ? Notre problème n’est-il pas, simplement, que nous avons oublié ce que signifie l’expression verticalité du pouvoir, et même le sens du mot autorité ? ».
« Monzon parle peu et frappe beaucoup »
En 1972, à La Défense, avait eu lieu un championnat du monde de boxe qui avait opposé un jeune français prometteur, Jean-Claude Bouttier, et le champion du monde argentin de l’époque, Carlos Monzon. Dans le journal « l’Équipe », les deux managers avaient résumé la tactique de leurs champions. Ainsi, celui de Bouttier avait déclaré : « Si Jean-Claude parvient, par des esquives rotatives, à éviter dans un premier temps les crochets de son adversaire, il devrait pouvoir ensuite, par des jabs bien ajustés, prendre un certain avantage, puis, à partir du 8ème round, peut-être, placer une droite… ». De son côté, le manager de Monzon avait résumé les choses : « C’est simple. Carlos parle peu et frappe beaucoup ». Lors du combat, Monzon a tellement massacré Bouttier que celui-ci a ensuite abandonné la boxe.
À lire aussi, Simon Moos: L’ennemi est l’islamisme, mais qui sommes-nous?
On parle, on discute, on fait des lois, mais on ne règle pas le problème islamiste en France. A-t-on encore besoin de lois ? Le problème n’est-il pas le fait que, tout simplement, la France parle trop et ne punit pas assez ?
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !