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La France invertébrée

Le regard d’Henri Beaumont


La France invertébrée
L'eurodéputé Raphaël Glucksmann et la présidente de la Région Occitanie Carole Delga, la Réole (33), 5 octobre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Pendant que les médias progressistes exorcisent le réel, nos politiques continuent de cabrioler dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures…


España invertebrada, c’est un essai fameux sur les affres de la modernisation de l’Espagne des années 20. Les forces de « désintégration et dépeçage » – pour reprendre les mots d’Ortega y Gasset – sont puissamment à l’œuvre, en France, aujourd’hui. Sept ans de macronisme, 3250 milliards de dette publique (112% du PIB), une succession de déroutes électorales, un pays en pleine crise de nerfs, gangréné par le narcotrafic, ne pesant plus rien dans le monde… Bateau perdu jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, dans un monde parallèle, Gabriel Attal ne se laisse pas abattre : « Le dépassement c’est une audace : aller plus loin que la gauche ne l’a été sur l’écologie ou les services publics et aller plus loin que la droite ne l’a été sur l’ordre, la sécurité ou l’économie… J’ai une histoire à écrire avec les Français » (Le Point). Gabegie le Magnifisc ? Caius Iulius Caesar Birotteau ? La France en s’ébattant.

Les dépeceurs

Le patron de La Ferme des animaux du NFP, c’est le cochon. Protégé par une garde de silentiaires, grizzlis végétariens, hétaïres atterrantes, Jean-Luc Mélenchon se prend pour Napoléon. LFI souffle sur les braises de la traite négrière, la guerre d’Algérie et le conflit israélo-palestinien. Rima Hassan, Mathilde Panot, Manuel Bompard draguent les imams, les rappeurs racaille, défendent le Hamas, le Hezbollah et les traditions. En 1972, dans Rouge (LCR), Edwy Plenel (alias Joseph Krasny) appelait à « défendre inconditionnellement » le commando palestinien Septembre Noir qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens.

L’agenda islamo-gauchiste insoumis est clair : agitprop dans les campus, immigrationisme, clientélisme, marginalisation des Français de souche, libanisation du pays, la haine à offrir en partage. Cette stratégie d’hystérie et chaos est assumée comme un préalable à la prise du pouvoir, avant les camps de déconstruction rousseauiste. Moins frontal, le wokisme libéral-libertaire, triomphe des fils déguisés en père, est aussi délétère. Ils ont aboli jusqu’au principe de raison. « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez » (Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968).

Ce rien qui les dévore : Oui-Oui au pays des Marvels 

Comment rebondir après deux générations de naufrage éducatif, effondrement culturel, chaos migratoire, communautarisme, « self-service normatif » ? La crétinisation numérique et les rezzous sociaux parachèvent la débâcle. L’éditorial de Louis Pauwels sur « les écoliers de la vulgarité pédagogique nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz », n’a pas pris une ride. « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre (…) Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore » (1986).

La cuisson est terminée, tout le monde est à point (et à poil) : Philippe Katerine, Patrick Boucheron, Télérama, l’Université, Aurélien Bellanger, Léa Salamé, Greta Thunberg, Ursula von der Leyen, l’Occident « pourtousiste ». Les zombis acéphales, encordés, indignés, narcissiques, sur LinkedIn, leurs applis, prêchent « l’en commun bienveillant ». Ils « like » les drag-queens gazaouis oppressées par Tsahal, un piquenique d’entreprise sans Nutella, un webinaire sur l’intelligence artificielle de confiance à Bratislava. Ils veulent changer de sexe, sauver la planète, la tortue luth, les femmes.

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Nos politiques cabriolent dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures. Senhor Oliveira da Figueira du progressisme, Raphaël Glucksmann pitche large : « la gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ». Après la grosse caisse prolétarienne, la musique de chambre citoyenne pour clarinette et Tamtam inclusif. Sur le manège enchanté du « réalisme de gauche », la soucoupe volante clignotante de Bernard Cazeneuve talonne le destrier de Raphaël. Carole Delga, à l’affut, pilote une voiture de pompier. Pour qui le pompon ?

Le drame du camp du bien, c’est Le Massacre des illusions, le fouet des événements. La guerre, les pogroms, les décapiteurs, le religieux, les déficits, le réel, sont de retour, à Lampedusa, Beyrouth, Bercy, dans les urnes. Longtemps, la gauche a snobé le passé (ringard, réac) et auto-absous ses aveuglements, lâchetés, crimes, au nom du progrès, du monde d’après. Demain on rose gratuit. Aujourd’hui, le futur n’est plus un alibi. Y’a la foi qui ne va pas, c’est la droite qui s’dilate, les sondages raplapla, le climat est en bas et l’IA fait débat… Où sont passés la recette du cake d’amour, les robes couleur du temps, de soleil, de lune, la peau d’âne, les pièces d’or, pierres précieuses ? Ça interroge.

Pour exorciser le réel, France Inter, Le Monde, des légions de chercheurs engagés, nous abreuvent de bourdieuseries, sophismes rassurants, contre-enquêtes pipeau, slogans éculés coulés dans le gaufrier du lieu commun sociologique : « faire société », « l’en commun », le « socialement construit ». Les hérauts du « toutlemondisme » dansent le rap sur des arcs, barrages, trajectoires bidon : la frugalité productive, le tchador laïque. Les sceptiques sont racistes et crypto-fascistoïdes.

Le dernier bluff de la Sainte Alliance progressiste c’est la manipulation des pleurs et des peurs. L’ultime joker, la ligne Maginot, qui abrite plus qu’elle ne hante le camp du bien, c’est le spectre de l’extrême-droite. Un seul Maistre vous manque, et tout est dépeuplé. « Le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. […] Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » (Valéry).

L’oubli des enjeux anthropologiques

Oublieux de l’être, possédé par la technique et la volonté de puissance, l’Occident a refoulé les énigmes, les questions scabreuses méditées par Pierre Legendre, Gérard Guest et quelques autres : la reféodalisation du monde, la guerre des Textes, les transgressions généalogiques, le sujet possédé par l’institution, le grand Tiers inaugural rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie », ce qui fait tenir une société debout.

Dans la seringue de l’IA, le bateau ivre de la « calculabilité intégrale », les juristes, économistes, scientifiques, politiques sont pris de vertige. Ils se raccrochent aux branches des saules pleureurs, directives européennes, miroirs aux alouettes à ailes rousses, usines à gaz hilarant : les audits de durabilité, la RSE, la vigilance des devoirs, l’huile de palme responsable, la moraline inclusive de l’éthique de la discussion.

« Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits » (Pierre Legendre).



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