Peut-être mon odorat est-il resté trop sensible en dépit des atteintes de l’âge, mais j’ai l’impression que les miasmes délétères du débat public français commencent sérieusement à polluer l’air pur de mes chères montagnes.
Les élites françaises, politiques et culturelles, offrent en effet au peuple ébahi un spectacle distrayant, certes, mais qui balaye ce qui pouvait rester d’estime des gouvernés envers les gouvernants, et du public envers les artistes et créateurs.
De quoi parle-t-on en cette rentrée d’automne ? Du social en temps de crise ? À peine, et encore faut-il qu’une vague de suicide au sein du personnel de France Télécom viennent pimenter l’histoire, trop classique peut-être, de l’affrontement entre exploiteurs et exploités.
De la course iranienne vers le nucléaire et de la nouvelle approche de cette question par l’administration Obama ? Pas assez sexy depuis que le Quai d’Orsay ne communique plus sur le cas de Clotilde Reiss, qui attend, cloîtrée à l’ambassade de France, le bon vouloir des barbus enturbannés et de leur aboyeur Ahmadinejad.
On jette un œil blasé sur les éleveurs en colère qui vont remplir de lait la piscine de Raffarin : on a tant vu le film Jacquou le Croquant, le retour qu’on ne rit même plus de ces gags usés jusqu’à la corde.
Heureusement, une conjoncture exceptionnelle vient tirer le peuple le plus intelligent de la terre (selon lui) d’une torpeur intellectuelle et émotionnelle indigne de sa tradition multiséculaire de controverses savantes menées avec talent et brio.
On se souviendra longtemps de cette fin septembre et de ce début octobre 2009 où les passions françaises ont atteint le sublime en se déployant dans la 11e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Jamais la formule chiraquienne « Quand on met de la merde dans un ventilateur, il ne faut pas s’étonner d’être éclaboussé ! » n’a trouvé meilleure illustration. « Villepinistes » et « sarkozystes » s’emploient allègrement à alimenter ce ventilateur en cette matière odorante projetable alentour.
L’arrestation en vue d’extradition de Roman Polanski, outre une pétition corporatiste en sa faveur du monde des arts et du spectacle, a déclenché parallèlement une polémique de haute intensité sonore à propos des pratiques touristiques du ministre de la culture Frédéric Mitterrand. Où l’on voit le socialiste Benoît Hamon emboîter le pas à Marine Le Pen dans une offuscation surjouée relative aux amours tarifées avouées par Frédéric dans un livre à succès dont personne ne s’était ému lors de sa parution. La France se partage donc aujourd’hui en Frédomitterrandophobes et Frédomitterrandophiles[1. Je sais, c’est un peu lourdingue, mais il faut éviter de confondre tonton et tata…] un clivage qui vient se superposer à celui séparant les villepinistes des sarkozystes à propos de l’affaire Clearstream.
On voit arriver, depuis quelque jours, une nouvelle affaire à propos de laquelle le génie français va trouver une nouvelle occasion de donner sa pleine mesure : le règlement de compte post-conjugal de l’ex-Mme Besson va, n’en doutons pas, donner lieu à une nouvelle vague de gloses et commentaires à haut bruit qui rendra encore plus inaudible la rumeur du monde.
Et pendant ce temps-là, l’Ecolo Horror Show continue : ceux qui ont aimé Al Gore, adoré Yann Arthus-Bertrand, vont se pâmer devant le nouvel opus anxiogène et culpabilisateur de l’incontournable Nicolas Hulot. Ceux qui, comme Sarkozy, croient qu’il est politiquement subtil de caresser les démagogues verdâtres dans le sens du poil pour qu’ils plument la volaille socialiste risquent de se trouver assez mal le jour où ils devront affronter Nicolas Hulot au second tour de la présidentielle.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !