Il n’est pas nécessaire de fréquenter les cafés du commerce pour entendre les trop nombreuses complaintes de ceux qui ont mal à la France. On nous parle d’un temps que nous ne pourrions pas connaître et que le progrès nous aurait volé dans sa marche impétrante – lorsqu’il passe, l’herbe ne repousse pas- vers l’anesthésiante modernité. Alors, on lit les poèmes de Péguy en imaginant la Beauce sans ses pavillons et ses barres, on pense à cette époque où les antennes paraboliques n’avaient pas encore remplacé la croix des clochers. Et indubitablement, on se dit que c’était mieux avant, en accrochant à notre mélancolie les images d’une France de cartes postales en noir et blanc.
Pourtant, cette France des nappes à carreaux rouges et blancs, cette France des bistrots où la ficelle était l’unité de mesure, cette France des oubliés et des invisibles, Benoit Rayski l’a rencontrée. Et c’est en amoureux qu’il s’est lancé à sa rencontre : à Rezé, Yllion, Clermont-Ferrand, Dassaud, Cosne-sur-Loire, Arras, Montreuil-sur-Mer, Arcueil, Le Noirvault, Guise, Miribel, Villeneuve d’Ascq. Dans ces villes et ces villages qui sentent bon la France, la modernité ne semble qu’une incartade de mauvais goût incapable de consumer un pays où fleurissaient, comme les colchiques dans les prés, les jolis noms chantants de Brocéliande, Aigues-Mortes, Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme, Beaune, Saint Malo, Châteauneuf-du-Pape, etc. « L’amour supplée aux longs souvenirs par une sorte de magie. [Il] crée par enchantement, un passé dont il nous entoure » disait Benjamin Constant.
Il faut aller en France pour la connaître. Car, savez-vous, on peut y rencontrer un écrivain public (à Arras), revoir la Cité radieuse construite par Le Corbusier (à Rezé), dîner dans un hôtel-restaurant où se trouvaient auparavant les bureaux de la Compagnie minière (à La Grand-Combe), réciter – autant qu’on s’en souvienne – le début d’un Je vous salue Marie devant la Madone de béton et d’acier (à Miribel). Car, savez-vous, c’est à Montreuil-sur-Mer que se tient la célèbre confrontation entre Javert et Jean Valjean, où ce dernier accepte de se confondre pour sauver Fauchelevent du poids d’une charrette renversée. Car, savez-vous, à Villeneuve d’Ascq, on peut discuter avec des Compagnons du Tour de France, ces bâtisseurs de cathédrales, ces charpentiers, ces selliers et ces maréchaux-ferrants. Car, savez-vous, être « ébéniste, sellier, menuisier, c’est aussi bien et surtout autrement que d’être français, allemand, italien, polonais, sénégalais, arabe, juif, noir. »
Haut les cœurs, nous apostrophe l’auteur même s’il enrage qu’un adolescent préfère livrer des pizzas plutôt que de travailler le bois. Pour Benoit Rayski, il y a un pays vrai sur lequel on a posé un pays fictif, tel un cache-France (notez qu’il s’autorise à transposer le distinguo maurrassien pays réel/pays légal). Et c’est ainsi qu’il termine son itinéraire amoureux –où il fut heureux comme Dieu en France- par une promenade à Stains, une ville qui lui donne l’irrépressible envie de fuir mais aussi de dire à la France son étrange passion : « Heureusement la France est grande. Je le sais pour l’avoir retrouvée. »
J’ai pour la France une étrange passion, Benoît Rayski, éditions David Reinharc.
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