D’Épicure à Céline en passant par Montaigne et Lafargue, une longue tradition philosophique et littéraire invite l’honnête homme français au farniente. Difficile de lutter contre tant de beaux esprits…
L’affaire est entendue. Le travail est un châtiment divin. Pour avoir croqué le fruit défendu, Adam ne fut pas seulement condamné à porter des peaux de bête jusqu’à son dernier souffle, puis à devenir poussière une fois celui-ci rendu. Comme le rapporte la Bible, le compagnon d’Ève fut aussi, ce jour-là, banni du jardin d’Éden, ce pays de cocagne où il suffisait de se baisser pour manger à sa faim. Les mots de Yahvé sont à cet égard sans appel : « À cause de toi, le sol est maudit. C’est avec beaucoup de peine que tu en tireras ta nourriture tout au long de ta vie. […] Tu tireras ton pain à la sueur de ton front. » Aux dernières nouvelles, la sanction n’a toujours pas été levée. Frappant l’entièreté de l’humanité, elle est toutefois assortie, comme le rapporte la Genèse, d’une journée de repos qui nous est consentie une fois par semaine ; bien avant Léon Blum et Martine Aubry, le sabbat constitue en somme la première réduction du temps de travail.
Voilà pour notre lourd héritage judéo-chrétien. Auquel nombre d’auteurs ont été, et on peut les comprendre, tentés de préférer le legs culturel grec. Car à Athènes, du temps de Périclès, on préférait, du moins dans les hautes sphères de la société, s’interroger sur la nécessité de perdre sa vie à la gagner. En temps de paix, passer son temps à réfléchir, à discuter et à prendre soin de soi, aux bains ou ailleurs, fait alors pleinement partie des activités recommandées à qui veut mener son existence de façon belle et bonne, en Kalos Kagathos. À Rome, la scholè débouche sur la notion d’otium, que l’on peut traduire par « loisir » ou par « oisiveté ». Un disciple d’Épicure peut ainsi déclarer, sans passer pour un fauteur de troubles : « Il vaut mieux s’étendre sur le sol nu et être à l’aise, que d’avoir un carrosse doré et une table riche et d’être inquiet. » Chez les penseurs latins, la possibilité de se retirer à la campagne, de s’éloigner du tumulte de la vie publique, de se consacrer aux activités savantes trotte toujours dans un coin de la tête.
À l’époque, une hypothétique « villa Otium », aux abords de Naples, fait même saliver tout ce que l’Empire compte de poètes : ce lieu sublime offrirait « une sécurité paisible, une vie de plaisir, où l’on n’a aucun problème pour se reposer et dormir ». Un poil plus prévoyant, Plaute encourage tout de même son public, dans sa pièce Mercator, à anticiper