Dans le monde politique, la semaine écoulée a démontré que plus rien n’était à l’abri de la suspicion.
On m’accordera, je l’espère, que depuis la démission forcée d’Elisabeth Borne, dans le domaine politique, notamment au plus haut niveau présidentiel, l’intérêt et la grandeur de la France sont radicalement passés au second plan. On me concédera que la vie politicienne a été portée à son zénith et qu’on n’y voie pas un reproche de ma part : je l’adore. C’est juste un constat. « Politicienne » est d’ailleurs un peu faible. C’est davantage un champ de coups fourrés, de magouilles, de pièges, de vengeances, d’humeurs, de rétorsions, de secrets et de leurres : un vaudeville démocratique qui laisse loin derrière lui la moindre allure républicaine.
Le poison de la transparence
En même temps on découvre un processus qui d’une certaine manière pourrait être perçu tel un progrès par rapport à l’hypocrisie habituelle : l’éradication des non-dits, la fin des « je n’en pense pas moins mais je ne dirai rien ». Je ne fais pas allusion aux réseaux sociaux où depuis longtemps le cloaque, parfois pertinent dans ses douteuses extrémités, domine et où on n’hésite pas à révéler ce qui devrait demeurer secret et qui même ne devrait pas être abordé.
Avant de faire un sort à notre monde politique qui est atteint par ce poison – cette transparence d’un nouveau genre ? -, on est bien obligé de constater que dans notre quotidienneté en quelque sorte civile, il y a longtemps que les non-dits ne sont plus définis comme le comble de la politesse, un miracle de la civilité. Nous sommes loin de ce qu’Alain Finkielkraut expose magnifiquement dans son dernier livre à partir d’une explication d’Emmanuel Levinas pour qui l’autre et son visage constituent ce qui vont nous détourner forcément de nous-même pour nous conduire au respect du prochain.
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Au fil des jours, et de plus en plus – je me sens moi-même coupable de cela -, le besoin de dire le vrai, même s’il offense, est devenu le signe d’une sincérité qui se flatte de tous ces non-dits qu’elle écrase. J’ai bien conscience que pousser à l’extrême un tel processus pourrait constituer notre humanité comme un champ de ruines mais n’est-il pas dur parfois de taire les seules choses qui seraient susceptibles de permettre l’élucidation d’autrui et de ses postures ? Cette politesse qui incite à s’abstenir, cette urbanité qui s’efforce d’occulter, cette douceur d’une civilité systématique n’étaient pas étrangères au débat politique, aux joutes partisanes. Derrière les affrontements idéologiques les plus rudes, subsistait le souci des personnes et de leurs tréfonds de même que des siens. Ils restaient dans l’ombre.
Tout cela est fini. Les non-dits sont totalement vaincus. Non seulement l’exigence de rassemblement, vœu pieux de tous les présidents de la République, n’a jamais été concrétisée mais avec Emmanuel Macron, la dislocation du pays en trois familles politiques et en de multiples antagonismes ponctuels a pris un tour tellement personnel qu’il en est jouissif ou dévastateur.
François Baroin : quand Rachida fâchée, elle toujours faire ainsi !
Il y a d’un coup une libération de la parole intime, du verbe qui n’osait pas s’exprimer, moins par morale que par la crainte de devenir à son tour la cible : maintenant, ce qui gisait au fond surgit à la surface. Le Premier ministre est stigmatisé parce qu’il ne serait pas « un homosexuel ostentatoire » et qu’il serait juif – alors qu’il ne l’est pas d’ailleurs. Fabien Roussel le qualifie de « Dalida… paroles, paroles, paroles » ! On exprime ouvertement la honte d’avoir un ministre des Affaires étrangères qui parle si mal le français en Ukraine. S’il y a une déplorable maladresse de communication de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale qui a gardé les sports dans son portefeuille (mauvaise idée !), la manière dont elle est traitée relève d’une inquisition qui fait bon marché de la liberté des choix familiaux. Plus rien n’est à l’abri de la suspicion, même la plus intime, quand un pouvoir peu lucide dans sa sélection ministérielle n’a pas su prévenir les inéluctables controverses.
Les Républicains ne sont pas épargnés. Lors de ses vœux à Troyes, François Baroin s’en prend à Rachida Dati en lui reprochant son entrée au gouvernement et son illusion pour son « deal » avec le président en ce qui concerne la Mairie de Paris en 2026. Elle lui a répliqué vertement en l’accusant de n’avoir été qu’un « héritier » dont les autres ont fait la carrière et qui s’est toujours défaussé quand son parti avait besoin de lui.
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Je ne me prononce pas sur le fond de ces disputes mais elles mettent en lumière que les arrière-pensées, même les plus vindicatives, ont pris la relève des faux consensus et des apparentes concordes. Je ne peux m’empêcher de relever que sous ces antagonismes qui révèlent des actions ou des abstentions politiques, des tactiques partisanes, on retrouve toujours les mêmes responsables qui continuent, directement comme Eric Ciotti ou indirectement, vicieusement comme Nicolas Sarkozy, à s’occuper des Républicains. On aboutit à ce paradoxe que si LFI a fait perdre délibérément au débat parlementaire sa tenue et que Jean-Luc Mélenchon a explosé en mille provocations, aucun député de son camp n’a jamais violemment disqualifié ce dernier, tant une retenue, une peur persistent, qui le protègent. Il y a encore beaucoup de non-dits chez eux comme peut-être aussi au Rassemblement national où on fait silence pour ne pas faire apparaître que Jordan Bardella serait meilleur que Marine Le Pen en 2027.
La fin de la plupart des non-dits en politique est-elle en définitive une heureuse évolution ? On pourrait répondre par l’affirmative si elle était compatible avec l’essentiel qui est le programme, l’élaboration du projet. Ou faut-il tristement admettre que ce qui manque, ce ne sont pas les idées mais les personnalités, les intégrités et les courages ? En tout cas, pour l’instant, quel jeu de massacre !