La fille qu’on appelle de Tanguy Viel a laissé Pascal Louvrier dubitatif
Le personnage principal du roman de Tanguy Viel, La fille qu’on appelle, n’est jamais nommé. Il s’agit de la ville où se situe l’histoire qui ressemble à une tragédie sans héros, conforme à l’époque égalitariste et mercantile. On peut la reconnaître cependant aisément surtout lorsqu’on aime se recueillir devant la tombe de Chateaubriand, sur le Grand Bé, face à la Manche jamais étale.
L’auteur nous distille quelques indices, le bar de l’Univers, fréquenté par Michel Déon et chanté par Bernard Lavilliers, le château devenu hôtel de ville, le casino en béton qui semble contrôler l’immense plage du Sillon, où Céline venait y pêcher des âmes, surtout quand la mer ressemble à un dos de chien d’écume en colère, cette mer montant à l’assaut des remparts deux fois par jour, sans relâche.
C’est une ville minérale, avec très peu d’arbres et beaucoup de courants d’air, elle n’est pas très accueillante, on y frisonne, même l’été, et pourtant lorsqu’on y pénètre, elle ne vous lâche plus, elle vous retient même, et lorsqu’on la quitte, c’est toujours à regret, surtout quand la chambre en surplomb des vieux remparts, sauvés miraculeusement des bombes américaines, cette chambre-là fut celle de votre enfance. C’est la cité corsaire, rude et fière, Saint-Malo.
Intrigue ténue
L’atmosphère du livre de Tanguy Viel est un peu celle des romans de Simenon. C’est sombre, sans illusion, les hommes passent leur temps à prendre le pouvoir, soumettant les femmes à leur désir. Ils ne sont ni bons ni totalement mauvais. Ils sont lourds, très lourds. L’ambivalence domine les rapports sociaux. Le noir et le blanc finissent par se mélanger en une bande grise. C’est ça, ce roman est un camaïeu de gris. L’intrigue est ténue. Une grande brune de 20 ans, repérée dès l’adolescence pour faire des photos en sous-vêtements, avec les seins qui débordent de la dentelle. Son père, Max le Corre, est le chauffeur du maire de la ville, Quentin Le Bars. Il est également boxeur, une ancienne gloire qui prépare son grand retour malgré le poids des ans. Il fut champion de France 2002, catégorie mi-lourds. Sur les murs granitiques de la cité corsaire, le père et la fille se regardent par affiches interposées.
C’est une configuration incestuelle, comme dans une tragédie. Le père sollicite le maire. Il souhaiterait qu’il trouve à Laura, sa fille, un appartement, et pourquoi pas du travail. C’est l’engrenage. Elle va devenir la fille qu’on appelle, la call girl. L’auteur déroule l’histoire de manière factuelle, assez cinématographique, et y introduit, en la coupant, la scène où Laura vient porter plainte contre le maire, prédateur sexuel qui abuse de son statut social. Mais on reste dans la bande grise. Il est question d’emprise, de consentement, de situation équivoque pour le moins. Dialogue entre l’enquêteur et Laura : « Il ne vous a rien demandé ? Non, pas vraiment. Donc vous l’avez fait de votre propre volonté ? Non, je vous dis, c’était ce que je devais faire, ça ne veut pas dire que c’était ma volonté. » La véritable violence, elle est sur le ring, sous les sunlights, où le père se fait fracasser par plus jeune que lui. Laura n’est que la fille de l’ombre. Elle subit, ne parvient jamais à balancer un uppercut, même verbal, au maire et aux notables, à commencer par Franck Bellec, le patron du casino, tout de blanc vêtu comme un mac qu’il est. Le maire devient ministre. Il est intouchable, malgré la plainte déposée. Il appelle Bellec.
Ce dernier possède des photos de Laura posant nue, à seize ans, lascive, sous les flashes d’un photographe. Tanguy Viel tire son intrigue avec parfois de grosses ficelles : « Et tandis qu’il passait sa main sur la silhouette glacée de Laura, il s’est dit que, oui, décidément, il avait eu raison de venir la chercher à la sortie du lycée. »
Ce roman est à l’image de la mer qui cogne contre les remparts. Elle cogne, et puis c’est tout.
Tanguy Viel, La fille qu’on appelle, Éditions de Minuit.