Le Salon Rétromobile, Panthéon de l’automobile de collection, ouvrira ses portes du 5 au 9 février avec, en apothéose, une vente aux enchères Artcurial dédiée aux voitures de stars (l’Aston de Richard Anthony, la Packard de McQueen, la Rolls de BB et d’Aznavour, etc…).
C’est pour nous l’occasion de retracer le parcours d’un écrivain amoureuse de la vitesse et authentique star : Françoise Sagan. « J’ai claqué des centaines de millions anciens. Comment j’ai fait ? Je ne sais pas » disait-elle. À une époque où les écrivains sont plus attentifs à la courbe de leurs ventes qu’à leur style, cette formule de Sagan en dit long sur sa personnalité. Derrière ce visage de petite fille modèle, ce charmant petit monstre comme l’écrivait François Mauriac, Sagan avait décidé de s’octroyer toutes les libertés et en premier, celle d’écrire. Rien ne prédestinait pourtant cette enfant des beaux quartiers à devenir écrivain, si ce n’est un caractère porté sur la nostalgie et la valse des sentiments. Elle avait compris que sans mélancolie, il n’y a pas de grand livre. La parution de « Bonjour Tristesse » allait lui ouvrir les portes de la littérature avec ces excès d’euphorie et ces gouffres intérieurs.
De son vrai nom, Françoise Quoirez aura nourri deux passions dans sa vie : l’écriture et la vitesse. Très tôt, elle a été bercée au son des mécaniques survoltées. Son père, Pierre Quoirez s’était lié d’amitié avant-guerre avec l’ingénieur Jean-Albert Grégoire, l’homme qui inventa la Traction Avant. Sagan a donc entretenu une passion des automobiles qui va au-delà de la simple envie de parader au volant de voitures de sport dans les ruelles de St-Tropez ou sur le Boulevard St-Germain. Peu d’écrivains ont, en fait, si bien parlé de ce sentiment de légèreté et d’abandon que procure la vitesse.
Trois voitures des années 50 auront été décisives dans sa carrière et tout simplement dans sa vie de femme. Bien sûr, celle qui avait coutume de dire par provocation, mais aussi par accès de sincérité « d’un certain côté, c’était vrai que j’aimais les Ferrari et l’alcool», a possédé de nombreuses voitures. La première est celle de ses débuts, de la mise en place d’un destin hors norme. Le 6 janvier 1954, une jeune fille mineure de 18 ans dépose chez l’éditeur René Julliard un manuscrit qui allait changer le cours de sa vie. Elle inscrit sur la chemise « Françoise Quoirez, 167 boulevard Malesherbes, Carnot 59-81, née le 21 juin 1935 ». Elle n’a pas caché à son entourage proche qu’elle écrivait un roman. En 1953, elle vient de rater son examen de propédeutique. Elle a du temps devant elle, le goût des livres et la certitude qu’elle sera un écrivain riche et célèbre. Sa mère, plus attachée aux conventions de son milieu, n’y voit qu’un passe-temps aussi prenant que le point de croix ou la canasta. En revanche, son père et son frère Jacques ont su très vite que Françoise avait un don, une intelligence électrique, un sens de l’observation, une fragilité de façade, une obstination sans limite, enfin toutes les qualités pour souffrir donc pour écrire. Après avoir fait lire son manuscrit à François Le Grix, son meilleur lecteur, Julliard l’emporte avec lui le soir-même. Il est emballé par cette histoire amorale pour l’époque et en homme d’affaires avisé, il sent qu’un phénomène littéraire est en train d’éclore. Il sera le maître d’orchestre de cette déferlante qui secouera pendant cinquante ans la vie littéraire française. Dès le lendemain, il donne rendez-vous à Sagan dans son appartement du 14, rue de l’Université. Pour se donner du courage, Françoise avale un grand verre de cognac et prend la Buick de son père. Il va sans dire qu’elle n’a pas encore le permis de conduire. Cette imposante américaine allait d’une certaine façon sceller son destin.
Chez Sagan, littérature et automobile forment un couple indissociable. Le spectacle devait être étonnant, une jeune fille légère comme une plume derrière le volant d’une Buick lourde comme un paquebot. On dirait presque le début d’un roman et pourtant il s’agit bien de la vie de Sagan. La suite est aussi surréaliste, Julliard lui signe un chèque de 50 000 francs libellé à l’ordre de son père qui lui conseille de tout dépenser. Durant son existence, elle s’appliquera à respecter cette volonté paternelle. Son livre obtient le prix de la critique et la machine Sagan est lancée.
Un million d’exemplaires vendus, traduit dans vingt-cinq langues, « Bonjour Tristesse » bouleverse les règles de l’édition. Du jour au lendemain, Sagan devient une star. Les paparazzi font le siège de son appartement. Elle sort tous les soirs, fréquente le tout-Paris, débarque à New York auréolée d’une gloire sulfureuse. Sagan vit dans l’instant, elle est trop exaltée pour mettre de l’argent de côté, ce serait une déplorable faute de goût. Élégante, elle l’est dans son écriture soyeuse et perfide, elle l’est aussi dans le choix de sa deuxième voiture. Cette fois-ci, elle a le permis, elle n’a plus besoin d’emprunter la Buick de son père, elle s’offre une Jaguar XK 140 d’occasion qu’elle paye comptant 1 300 000 francs, une somme considérable pour l’époque. Cette deuxième voiture affiche la couleur rouge du désir. Sagan s’affirme. Elle vivra dorénavant selon ses propres codes, personne ne lui dictera sa conduite. La photo d’une Sagan échevelée, pieds nus, au volant de cette Jaguar fera le tour du monde. A sa mort, on ressortira même ce cliché car il est le condensé exact d’une existence où derrière une apparente frivolité se niche un désespoir plus profond. Dans son livre « Avec mon meilleur souvenir » paru chez Gallimard en 1984, elle écrira que la vitesse « décoiffe tous les chagrins : on a beau être amoureux fou, en vain, on l’est moins à deux cents kilomètres à l’heure ».
Sa troisième voiture lui fera prendre conscience des dangers de la route. Comme une longue rédemption, l’accident de 1957 à bord de l’Aston Martin DB Mark III la blessera dans sa chair ce qui lui fera dire bien plus tard « jusqu’à mon accident de voiture, je m’étais crue invulnérable. Je ne pensais pas que cela pût m’arriver, ni même d’être malade. Et puis soudain : la catastrophe ». Bilan : crâne ouvert, onze côtes cassées, l’omoplate, les deux poignets et les deux vertèbres abîmés. Et surtout une addiction au Palfium, une puissante drogue qui lui donnera le goût des paradis artificiels.
Ce jour-là, tout avait démarré sur un air de fête. Le couple Dassin prévient au téléphone qu’il a crevé en route avec sa Peugeot 203, il faudra les attendre. Françoise Sagan toujours aussi impatiente veut aller à leur devant. Elle embarque dans son Aston Martin, l’écrivain Bernard Frank, le journaliste Woldemar Lestienne et Véronique Campion. Les amis se retrouvent en chemin. Embrassades de circonstance et tout cette joyeuse bande reprend la route. Sur le chemin du retour, l’Aston Martin dérape sur le bas-côté et bascule dans le fossé. Les trois passagers sont éjectés, seule Françoise reste bloquée dans cet amas de ferrailles. On la transporte d’urgence à l’Hôpital de Corbeil, un prêtre s’apprête à lui donner l’extrême-onction, son frère s’y refuse et la transfère à la clinique Maillot de Neuilly. Si elle ne succombe pas à ses blessures, la douleur qu’elle allait endurer toute sa vie, lui rappellera la fragilité de cette vie.
À lire : Madame Sagan : à tombeau ouvert, une biographie de Geneviève Moll, J’ai lu.
Salon Rétromobile du 5 au 9 février – Porte de Versailles – Pour plus de renseignements :
*Photo : WITT/SIPA. 00652351_000041.
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