Les choses de la vie sont compliquées pour Marius de Vizy. Chroniqueur littéraire tendance catholique branché, aristocrate haut-savoyard de Paris, il doit organiser un dîner en l’honneur de Michel Houellebecq avec, évidemment, d’affriolantes donzelles pour égayer la nuit. Sa carte de visite – « Marius de Vizy, de la Revue des deux Mondes » – n’ouvre pas beaucoup de portes. Marius appelle Frédéric Beigbeder, bon garçon de talent. Des filles de l’Est, des filles de bonne famille, des filles délurées : tout sera bon pour Houellebecq et les quelques autres invités choisis. Iggy Pop lui-même sera de la partie. Dans le club passe Lolita Pille, « boudeuse et gentille à la fois, comme Sagan », qui traîne son spleen et le prochain roman qu’elle tarde à écrire. Sur un canapé, un critique paresse, un autre embrasse une attachée de presse. À propos du texte d’une romancière, une phrase fuse : « Une histoire de concombre surgelé fourré au loukoum tiède ». Tous n’ont qu’une idée en tête : en être ou ne pas être et, pour ceux qui écrivent, avoir le Goncourt.[access capability= »lire_inedits »]
Dès la mise en bouche de Mémoires d’un snobé, on est prévenu : « Pour des raisons de confort, l’action se déroule principalement dans le 6e arrondissement de Paris. Une usine d’abattage de poulets aurait aussi fait l’affaire. » Chaque page du roman de Marin de Viry tient cette ligne de style : une drôlerie froide et dilettante, nimbée d’un voile de mélancolie.
Derrière la satire parfaite du milieu de l’édition et des dialogues de pétroleur de l’humour, on sent l’angoisse au coeur. Un moderne Rastignac tremble de ne pas être vu, reconnu, lu et aimé. Entre le prix de Flore et des fêtes sous vodka, il n’est jamais à l’abri d’une moquerie, des humiliations d’un directeur littéraire, d’un agent sans scrupules, d’un SMS fielleux ou d’un coup de foudre.
On a beau être marié, on n’en est pas moins amoureux de la même femme fatale depuis des années. L’héroïne à la langue affutée s’appelle Caroline: « Tu penses que nous aurions été heureux si tu avais eu des couilles, à l’époque ? » On parle d’elle à un oncle de province, qui ne comprend rien. On en parle à des amis, qui se bidonnent. On en parle à son épouse, qui répond : « Embrasse-la pour moi. » Séduit par l’idée, le moraliste peut alors noter dans son carnet : « Un sale type marié à une catholique incandescente pourrait même utiliser l’examen de conscience comme alibi pour un adultère. »
Au petit matin, le temps des éclats de rire et des caresses passé, la chair ne cache pas sa tristesse. Il est l’heure de se parer de noir pour assister à un enterrement. Peut-être celui des illusions perdues, sur un air de Boris Vian : « J’suis snob / Encore plus snob que tout à l’heure / Et quand je serai mort / J’veux un suaire de chez Dior. »[/access]
Marin de Viry, Mémoires d’un snobé, Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
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