Comment la République peut-elle se faire respecter sur tout le territoire ? A l’heure où nos forces de l’ordre sous-équipées ne peuvent pas compter sur le soutien de la justice, faisons appel au savoir-faire de notre armée. Et mettons en place une nouvelle garde nationale.
Au XIVè siècle, Ibn Khaldoun, considéré comme le « père de la sociologie », mettait ses lecteurs en garde : lorsqu’il se produit un divorce entre le peuple et les dépositaires de la violence légitime, la société est condamnée. Soit elle sombre dans le chaos, livrée aux bandes de pillards, aux conquêtes barbares et aux seigneurs de la guerre, soit l’un des groupes habitués à faire usage de la violence (légitime ou non) prend le pouvoir, et instaure un régime autoritaire.
La leçon d’Ibn Khaldoun
La Grèce après la guerre du Péloponnèse et l’arrivée au pouvoir de Philippe de Macédoine, la fin de la République romaine et le triomphe de César, la chute des différentes dynasties impériales chinoises, des Trois Royaumes à la lutte entre Tchang Kaï-chek et Mao Zedong, toutes confirment cette analyse d’Ibn Khaldoun. Et je ne lui connais aucun contre-exemple.
A cet égard, la situation présente de la France est catastrophique. Les affrontements entre les Gilets Jaunes et les CRS, le deux poids, deux mesures d’un confinement pendant lequel des citoyens par ailleurs honnêtes et inoffensifs étaient verbalisés pour des broutilles alors que certains quartiers se moquaient ouvertement des règles sanitaires, les récentes manifestations autour de cette idole qu’est devenue Assa Traoré, les scènes de guerre tribale à Dijon où la République a totalement démissionné, laissant la résolution du conflit à un imam affilié à MF ex-UOIF, branche française des Frères Musulmans… Jusqu’à l’écho médiatique délirant de cette infirmière qui caillasse les forces de l’ordre et semble vouloir en découdre, mais réclame à grands cris sa ventoline dès qu’elle est interpellée. Comment en sommes-nous arrivés là ?
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Dans ce divorce entre le peuple et les détenteurs de la violence légitime, les torts sont partagés.
Immaturité
Du côté du peuple, une attitude infantile « je veux me bagarrer mais je veux ma ventoline » ! Autrement dit « je veux donner des coups mais je n’accepte pas d’en prendre ». Effondrement du syndicalisme qui donnait jadis un cadre aux actions : il y a quelques décennies les mouvements des ouvriers sidérurgistes ou des marins-pêcheurs étaient autrement plus violents que les manifestations d’aujourd’hui, mais il s’agissait de négocier avec la République, pas de remettre en cause l’existence de la France. L’immaturité médiatique joue également un rôle : si l’on compare la couverture des mouvements sociaux de l’époque et les images des derniers jours, le contraste est effarant. Et je ne parle même pas des interpellations de délinquants avérés : pour certains, un criminel se transforme en victime dès l’instant où un policier lui passe les menottes. Culture de l’excuse, du délinquant « victime ontologique de la société » que l’on exonère des responsabilités du libre-arbitre, et on oublie les victimes bien réelles du délinquant en question.
Du côté de la violence légitime, des forces de l’ordre, un double problème.
Quand la « violence légitime » ne se contrôle plus
Problème de légitimité : l’action du gouvernement d’Emmanuel Macron est considérée par une proportion croissante de français comme intrinsèquement illégitime, pour de multiples raisons. L’arrogance des propos et des attitudes, l’impression d’un pouvoir « fort avec les faibles, faible avec les forts », ne peuvent que saborder l’action des forces de l’ordre. Aux yeux de beaucoup, elles ne sont plus les protectrices du peuple, mais les mercenaires d’un pouvoir qui impose ses décisions au peuple au mépris de la volonté générale et du bien commun.
Problème de violence : oui il y a des « bavures », oui il y a un vrai sujet de « violences policières », mais il n’a rien de systémique. L’analyser suppose toutefois d’admettre qu’il concerne surtout la police nationale. Non que la gendarmerie en soit totalement exempte : une institution de plus de 100 000 personnes contient inévitablement son lot de brutes et d’abrutis. Mais dans le cas de la police, plusieurs problèmes structurels se posent.
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Le mode d’organisation de l’institution favorise la filière judiciaire au détriment de ce que l’on appelle la voie publique. Et la spécialisation des filières fait que jamais un enquêteur n’ira simplement patrouiller, même pour renforcer ses camarades de la voie publique. Résultat : ces derniers, qui concentrent les postes vacants, sont souvent incapables de monter en puissance rapidement en cas d’incident. Naturellement, les rythmes de travail plus que confortables obtenus par les organisations syndicales au fil des années n’aident pas. Autrement dit, une patrouille de police prise à partie dans un quartier sensible sait qu’elle est seule au monde. Les renforts, s’ils finissent par arriver, mettront très longtemps à venir. Les gendarmes, statut militaire oblige, ont un régime d’astreintes qui leur permet de battre le rappel des troupes beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement, même si un drame est toujours possible – je pense à Collobrières en 2012[tooltips content= »Deux femmes gendarmes avaient été abattues en juin 2012 au cours d’un cambriolage dans cette commune du Var »]1[/tooltips].
Caïds contre caïds
Mais le problème majeur, qui concerne les deux forces est l’indigence coupable de la réponse pénale. Les forces de l’ordre le savent, leur action n’est pas soutenue par les magistrats puisque les sanctions infligées aux délinquants ne sont en général absolument pas dissuasives.
Une patrouille de police confrontée à l’hostilité ne peut donc compter ni sur la force du nombre, ni sur la force de la loi. Que lui reste-t-il ? Certains baissent la tête. D’autres bombent le torse. Pour s’imposer – parce que c’est leur mission, parce que s’ils ne s’imposent pas ils ne pourront pas faire respecter la loi et ne protégeront personne – des policiers en arrivent à se comporter comme des caïds face à d’autres caïds. Bien sûr, certains d’entre eux y prennent plaisir, pourcentage détestable mais inévitable de brutes et d’abrutis, et ceux-là doivent être châtiés avec la plus grande sévérité. A ce sujet, la proposition de la syndicaliste Linda Kebbab est excellente : les sanctions prises contre les policiers et gendarmes qui abusent de leur autorité doivent être médiatisées, afin de montrer par l’exemple que ces institutions républicaines font le ménage dans leurs rangs chaque fois que c’est nécessaire. Mais un grand nombre des policiers qui en arrivent à « jouer les caïds » le font par nécessité, parce que l’organisation du service, l’institution judiciaire laxiste et les médias majoritairement hostiles ne leur laissent aucun autre moyen de tenter d’accomplir leur mission. Cercle vicieux.
Les Français font confiance aux forces de l’ordre
Faut-il désespérer pour autant ? Non, car la France dispose d’un atout majeur. D’après un sondage de début juin, 85% des Français font confiance aux forces armées, 81% à la gendarmerie, 69% à la police – et pour mémoire, 51% seulement à l’institution judiciaire, désaveu dont la plupart des médias se gardent bien de parler.
L’armée française est connue et reconnue pour son aptitude à « gagner les cœurs ». Sur tous les théâtres d’opérations extérieurs c’est l’un des points forts de nos militaires, capables dans des conditions parfois extrêmes et malgré le manque de moyens de mériter la confiance des populations locales tout en accomplissant leurs missions.
On sait aussi le succès mérité des deux livres du général Pierre de Villiers : la France sent, confusément mais intensément, qu’elle a besoin qu’infusent dans toute la société le pragmatisme et l’éthique exigeante des armées. Cette attente populaire est une force.
S’appuyer sur l’armée
Autre atout de nos armées : une longue et belle tradition d’intégration républicaine. A l’heure où certains accusent la France de « racisme systémique » alors qu’eux-mêmes promeuvent une vision du monde raciste, les armées sont un modèle à valoriser. Sous le feu seuls comptent la loyauté et le courage, la couleur de peau n’est rien : ni les balles ennemies ni la fraternité d’armes ne s’arrêtent à une différence aussi superficielle.
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Faut-il donc déployer l’armée dans les zones de non-droit et autres quartiers de reconquête républicaine ? Oui. Non pour « envoyer les chars » mais pour nous appuyer sur l’expérience et le savoir-faire remarquables de nos troupes, dont nous aurons bien besoin pour rétablir l’ordre sur le territoire national.
Eviter les milices et les pillards
A Nîmes, une école à dû être « délocalisée » dit pudiquement la mairie, en raison de l’utilisation d’armes de guerre par des bandes rivales dans le quartier où elle se trouvait. En France en 2020, des enfants doivent fuir des zones livrées aux affrontements armés pour pouvoir suivre leur scolarité. Et on se pose encore la question de l’état de siège ? Dijon en est la preuve : si nous n’acceptons pas que nos militaires interviennent, nous aurons les milices ou les pillards.
Et plutôt que des milices populaires, dont la bonne volonté gorgée d’exaspération risque hélas de dégénérer, nous devrions exiger la mise en place d’une véritable garde nationale, volontaires encadrés par des professionnels. Ainsi, nous disposerions des effectifs nécessaires pour tenir l’ensemble du territoire. Ainsi, ceux qui brûlent d’agir pourraient le faire sans risque de récupération par des groupes factieux ou extrémistes. Ainsi, un plus grand nombre de citoyens verraient de leurs yeux la réalité de la menace, et pourraient relayer un constat factuel face aux absurdités idéologiques. Ainsi, les forces de l’ordre et les forces armées ne risqueraient plus de se croire abandonnées du reste de la Nation, mais se sauraient soutenues, conscientes que c’est de ce soutien qu’elles tirent leur légitimité.
Si nous n’acceptons pas que nos militaires interviennent, nous aurons les milices ou les pillards
Savoir se faire respecter
Un rêve : que tous les élus, magistrats, avocats, journalistes aient l’obligation, au moins une nuit par mois, de patrouiller avec les forces de l’ordre dans un quartier sensible. Anonymement, pour ne pas fausser l’expérience. Sans sécurité supplémentaire, dans les conditions qui sont au quotidien celles des policiers, des gendarmes, des soldats. Gageons que très vite le discours médiatique changera. Gageons que l’impunité prendra fin pour les délinquants.
Ces changements sont des prérequis indispensables : aucune police, aucune armée au monde ne peut sauver un peuple qui a décidé de se suicider et d’applaudir la disparition de sa propre civilisation. Trahison ignoble de quelques générations d’enfants gâtés capricieux, qui privent leurs successeurs de ce que leurs prédécesseurs ont consacré des millénaires à bâtir.
Il ne servirait à rien de demander aux armées de reconquérir les parcelles perdues du territoire national, si c’est pour les brider comme on bride aujourd’hui la police et la gendarmerie. Jusqu’ici tous les projets de simplification de la procédure pénale ont été des échecs retentissants. Il faut lire David Galula et son remarquable traité de contre-insurrection. Les sanctions doivent être immédiates et identiques sur tout le territoire. Les brutes qui font régner leur loi dans certaines zones doivent en être écartées dès qu’elles sont identifiées, afin d’en protéger le voisinage. Les quartiers calmes (notamment ayant un taux élevé de population d’origine étrangère) doivent être prioritaires pour bénéficier des politiques publiques sur ceux qui se distinguent par les violences urbaines et les trafics : le respect des lois doit être récompensé. De même, il est urgent d’allouer plus de moyens pour des bourses d’étude ou du soutien scolaire à destination des adolescents et jeunes adultes sans histoire, plutôt que d’affecter ces moyens à une « réinsertion » qui revient à offrir à des délinquants ce que d’autres, honnêtes, n’auront jamais. Les ressources doivent être concentrés sur les services publics dirigés par des personnes fiables, et non données à des associations à la loyauté douteuse sur lesquelles l’État se déchargerait de ses responsabilités. Ce sont là des conditions indispensables de la victoire, avec la proclamation de l’état de siège au moins le temps de désarmer les « quartiers » et d’enfermer les chefs de bandes. La France et la République ne seront respectées que si elles montrent qu’elle savent se faire respecter.
C’est la leçon d’Ibn Khaldoun : pour ne pas tomber dans la spirale de la violence, nous devrons redonner son sens et sa noblesse à l’usage de la force. En clair, si tu veux la paix, prépare la guerre.