Notre chroniqueur du dimanche a choisi deux romanciers, Philibert Humm et Jean-Pierre Montal, dans cette rentrée littéraire 2024. Il nous dit pourquoi il faut absolument les lire parmi le demi-millier de nouveautés à l’abordage des librairies ce mois-ci. Il espère même que des jurys sérieux et libres, donc indépendants, se pencheront sérieusement sur leur cas…
Chers lecteurs, en ce premier dimanche de septembre, où la mélancolie de la plage et du bikini n’empêche pas la peur du retour au bureau, j’ai choisi d’élever le débat, de me porter au-dessus des parties. D’habitude, les littérateurs pointilleux résument, compactent, bachotent les nouveautés de la rentrée sous forme de fiches synthétiques. Ils sont restés des élèves appliqués. Je ne serai pas votre professeur de récitation. Nous avons passé l’âge des antisèches et des interros « surprise ». Et j’ai toujours préféré les diplômés du dernier rang aux premiers de la classe. Je ne vous parlerai donc pas du sujet propre de leur roman, je n’irai pas jusqu’à dire que leur histoire est anecdotique mais enfin ce qui nous intéresse, ici, c’est le style, le tour de main, le ressac des mots au creux de la nuit, la lente infiltration de la voix d’un auteur dans les veines du lecteur, le sentiment de plénitude quand la page est ronde comme un ballon et qu’on se dit, mon salop, tu l’as fait. Je ne connais rien de plus exaltant et d’abyssal qu’une page bien balancée comme le cul à la dérive d’une arpenteuse du sexe sur le Malecón à la fin de l’été. Que leur roman soit d’essence prophétique, romantique, d’initiation ou d’anticipation, peu importe ; que l’action se passe à Trafalgar ou à Villandry, dans le marais poitevin ou en Pennsylvanie, cette question d’orientation ou d’ensoleillement n’est qu’un mirage pour les bêtes à concours ; je vais essayer, par analogie et tâtonnement de définir quel genre d’écrivains ils sont et pourquoi je vous conseille de les lire dans l’embouteillage de cette rentrée.
Loin des hordes furieuses du moment
D’abord, ils écrivent dans un français de bonne tenue, ni trop élitiste, ni trop relâché, d’obédience classique, rassurante en somme. Ils écrivent court et détaché. En outre, ils n’abordent aucun des thèmes sociétaux à la mode qui électrisent les chaînes d’info. Ils sont hors des modes, hors des hordes furieuses, hors des plâtrées existentialistes, hors des clous. Ils ne veulent rien prouver. Je vous le dis, ce sont des Saints apolitiques. Tout de même, ne les prenez pas pour des bleubites, ils sont rusés, ce sont des bisons futés de l’évitement, ils touchent à l’essentiel, c’est-à-dire à la trahison, à la mort, au courage, au pardon, au ridicule et à la transcendance par des voies de délestage. On les lit par gourmandise dans un premier élan, chacun dans leur registre très différent, et on finit par communier avec leur « philosophie » du désespoir qu’il soit riant ou titubant, pénétrant ou évanescent. Que je les qualifie de « philosophes », ils s’en amuseront, ils trouveront que, comme d’habitude, j’exagère, j’extrapole, je me laisse emporter par le fracas des mots. C’est justement parce qu’ils n’ont rien des postures actuelles des écrivains épinglés, gémissements et pleurnicheries, l’égotisme pathologique à gueule de « gourou » et la victimisation par contumace, qu’ils s’inscrivent dans une autre littérature, parallèle, assez audacieuse ou folle, pour éviter les déballages indigents à l’heure du JT. Ils n’instrumentalisent pas leur lecteur. Ils ont de la tenue. Ça vaut tout l’or du monde.
Deux vrais écrivains
On se refilera bientôt leurs deux noms comme on consent à donner l’adresse d’un mécano capable de régler l’injection tempétueuse de sa Peugeot 404 à un collectionneur dans l’embarras. Le plus âgé des deux, né en 1971 à Saint-Etienne, est un stoïcien caustique ; il est peut-être le grand conteur du couple, un disciple de Jean Freustié avec quelques traces de Jacques Laurent pour son goût des sous-ensembles flous. Il travaille beaucoup sur la structure, l’imbrication, la bétonnisation des sentiments et leur construction chimérique. Il est un habile architecte du désordre amoureux qui puise souvent sa trame dans le cinéma, il se nourrit des désillusions et les transforme en art. C’est la mission cardinale que l’on est en droit d’exiger d’un écrivain. Et Jean-Pierre Montal est un vrai écrivain. Il serait plutôt anglais par son côté désenchanté, et aussi éminemment russe par son attrait de l’apocalypse. Avec La face nord aux éditions Séguier, il est un Truffaut qui aurait perdu sa boussole intérieure, il nous invite à un voyage aux confins du réel et des souvenirs, dans l’entrelacs des brumes. Philibert Humm est une autre sorte d’apprenti-voyageur, un baladin qui feint la farce pour mieux nous ensorceler. Méfiez-vous des écrivains drôles, ce sont les plus désarmants ! Son Roman de gare qui paraît aux Équateurs, après l’obtention du Prix Interallié pour Roman fleuve en 2022, est une nouvelle variation des aventuriers à la recherche de la caténaire perdue. Ce Modiano du ballast excelle dans la comédie de mœurs et il en faut du génie pour immortaliser des bras cassés de classe internationale. Quand je le lis, et je le lis depuis ses débuts, je sais son amour pour les déambulations bistrotières et son attachement sincère pour les « gens de peu », je suis ému. Les ratés sont notre miroir et aussi notre source de jouvence. Je ris à la débandade généralisée de ses anti-héros et je suis touché en plein cœur par la fable des éclopés de la vie. Il y a du Calet en lui, sans misérabilisme, sans pompe sacerdotale, sans suintement. L’émotion arrive dans l’irruption du quotidien, du ménager, du patraque, par accident pour donner à cette littérature plus ambitieuse qu’il n’y paraît, les atours d’un nirvana mi-poétique, mi-cabossé. Ce Blaise Cendrars tendance Jean Carmet suit en cela les traces d’un Fallet homérique. Voilà mes deux poulains sur qui je fonde de grands espoirs. Rendez-vous en novembre au moment des proclamations de prix.
La face nord de Jean-Pierre Montal – Séguier 160 pages
La Face nord - Prix des Deux Magots 2024 - roman rentrée littéraire 2024
Price: 19,00 €
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Roman de gare de Philibert Humm – Équateurs 224 pages