Avec La Fabrique des innocents, Gilles Antonowicz poursuit son exploration de la carrière de Maurice Garçon. En exhumant l’affaire Mis et Thiennot, il démonte la thèse de l’erreur judiciaire.
L’historien et avocat honoraire Gilles Antonowicz s’est fait remarquer en 2007 avec une biographie-modèle du genre de Jacques Isorni, l’avocat des communistes sous Vichy, de Pétain à la Libération, de l’OAS plus tard. Biographie casse-gueule où il évitait deux écueils : la complaisance ou le procès. C’est en avocat qu’il abordait aux rives escarpées de la carrière d’Isorni, en archiviste qu’il étayait ses propos et en conteur – sa marque – qu’il prenait la main de son lecteur. Résultat ? Prix du Palais littéraire 2008, réédition dans une version annotée en 2016 sous le titre Défendre ! et clôture du dossier consacré au mémorable avocat en 2021 avec la publication de Isorni : les procès historiques (Belles Lettres), synthèse des deux livres précédents.
S’ensuivent plusieurs ouvrages qui ont en partage un autre grand avocat, Maurice Garçon, redevenu fameux après la publication de son Journal 1939-1945 (Belles Lettres, 2015) : Mort d’un collabo (Nicolas Eybalin, 2013), où l’on voit Garçon défendre en 1943 cinq jeunes résistants accusés du meurtre d’un médecin collaborationniste ; Maurice Garçon : les procès historiques (Belles Lettres, 2019) ; et Maître Maurice Garçon, artiste (préface de François Sureau, Seghers, 2021), abécédaire cursif et passionnant retraçant sa vie, son œuvre et ses insolites violons d’Ingres.
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Dernier en date, La Fabrique des innocents, abracadabrante histoire où Garçon intervenait comme partie civile pour la famille d’un garde-chasse retrouvé en décembre 1946 gisant, criblé de plomb, dans un étang de la Brenne (Indre). Deux jeunes paysans – Raymond Mis (d’origine polonaise) et Gabriel Thiennot (proche du parti communiste) – avouent le meurtre, puis se rétractent. Trois procès en cours d’assises s’ensuivent, le verdict des deux premiers étant cassé pour vice de forme (le greffier avait omis de signer un procès-verbal). Mais tous sont identiques et Mis et Thiennot définitivement condamnés en 1950 à quinze années de réclusion après des débats loyaux et contradictoires. Trente ans plus tard, l’affaire rebondit avec la publication d’un livre où les faits, travestis, sont relatés avec la plus grande fantaisie (L. Boizeau, Ils sont innocents !, 1980). Le spectre de l’erreur judiciaire a toujours eu les faveurs de l’opinion et la mayonnaise prend. Les médias en font un marronnier. Six requêtes en révision sont déposées – et rejetées – de 1983 à 2015 : la cour de révision des condamnations pénales ne plie pas. Les lobbies politiques (communiste en particulier) n’en démordent pas, ils activent leurs réseaux (télévision, radio, presse). La justice populaire et médiatique entérine : une septième demande en révision vient d’être déposée ! L’enquête d’Antonowicz est équitable, accablante – et imparable. Puisse-t-elle, dans ce monde déraisonnable, contribuer à vaincre une idéologie en passe d’avoir (presque) raison du réel…
Gilles Antonowicz et Isabelle Marin, La Fabrique des innocents, Les Belles Lettres, 2022.
La fabrique des innocents: L'affaire Mis & Thiennot. Histoire d'une manipulation médiatique
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