Les chansons de Sophie, série d’été
« Je t’emmène faire le tour de ma drôle de vie, j’ai des idées dans la tête et je fais ce que j’ai envie. » Cette chronique, vous l’avez deviné, sera consacrée à Véronique Sanson, à sa drôle de vie, à la façon dont elle a fait irruption dans la mienne, sur le tard, je ne sais plus trop comment. Je devais avoir une quarantaine d’années et elle est vite devenue une de mes obsessions. J’essayais de convaincre mon entourage qu’il était urgent de l’écouter, et surtout de l’aimer, à tel point que ma fille disait aux pauvres victimes de mon enthousiasme : « Dites-lui qu’elle a raison, sinon elle crie. » Véro, – comme nous l’appelons nous, ses fans – est la compagne de tous mes chagrins. L’écouter en pleurant est ma catharsis, c’est mieux qu’un psy. Je fuis d’habitude le pathos comme la peste, je préfère ce que j’appelle « le désespoir poli », à l’image d’Etienne Daho. Mais Véronique a une manière unique de s’en emparer, elle fait corps avec lui, elle lui insuffle de l’énergie, une sincérité qui vient du tréfonds de son âme ; à l’image de Barbara, à propos de laquelle je vous parlerai aussi bientôt. Elle avait une vingtaine d’années lorsque sort l’album Amoureuse (1972), qu’elle a composé avec Michel Berger, son double musical. Ce qui me frappe, c’est que si jeune, elle savait déjà tout de la vie, de son tragique, mais aussi de sa douceur et de ses joies. En cela, elle me fait penser à Françoise Sagan, qui a 17 ans, avec Bonjour Tristesse a craché en quelques jours, un roman, qui, sous son apparente légèreté, fait preuve d’une implacable maturité. Par quel tour de passe-passe, les dieux ont-ils accordé à ces jeunes filles de bonnes familles le don de l’éternité ?
Avec Amoureuse, Véronique Sanson fait preuve de cette même maturité. En effet, Amoureuse n’est pas une chanson d’amour, mais une chanson de non-amour; d’amour qui n’aura pas le temps de s’accomplir, l’amour qui fait peur car on le devine trop intense : « Quand je prends ma tête entre mes mains, je vous jure que j’ai du chagrin » ou encore « Quand je sens que j’entre dans sa vie, je prie pour que le destin m’en sorte, je prie pour que le diable m’emporte. » Nous sommes très loin des amours midinettes qu’affectionnent les jeunes filles. Il existe une archive étonnante, un « Discorama » datant de 1972, nous y voyons notre Véronique Sanson, en jeune fille timide des beaux arrondissements, qui avoue ne pas aimer parler « Je ne parle pas, je ne dis pas un mot ». À Denise Glaser qui lui demande « Qui vous êtes ? », elle répond « Je suis une jeune fille sage qui fait de la musique. » Et soudainement, cette jeune fille sage s’est transformée en star du rock’n’roll, en tombant follement amoureuse du chanteur américain Stephen Stills. Elle quitte Michel Berger en disant qu’elle allait acheter des cigarettes, avant de s’envoler pour Los Angeles en compagnie de son musicien américain, avec l’argent que lui avait prêté Nicoletta. La suite, nous la connaissons, elle le regretta toute sa vie, et échangera une correspondance en chansons avec Michel Berger, chansons toutes plus poignantes les unes que les autres. Cet amour fut certainement mythifié, car souvent les plus belles amours sont celles qui restent en suspens. Cependant, nous aimons y croire. Nous sommes tous, finalement des midinettes.
« Je fais ce que j’ai envie » chante-t-elle dans Drôle de vie. Son père ne lui pardonna jamais la faute de syntaxe. C’est exactement cela : Véronique Sanson a du tuer cette jeune fille de bonne famille, pour enfin devenir une star sulfureuse. Elle a construit son mythe. Elle raconte qu’elle savait dès le départ, qu’elle faisait une erreur, que le jour de son mariage, elle avait même pensé prendre la fuite. « Mais il y avait les Beatles, les Who, c’était impossible. » Cependant, cette erreur, elle devait la faire. Avec Stills, elle fait connaissance avec l’alcool, la drogue, elle veut prendre la fuite, rentrer en France, mais Stills veut garder leur fils, Véro va jusqu’à lui mettre un contrat sur la tête, elle ne partira pas sans son enfant. Nous sommes loin de la jeune fille timide du Discorama de 1972. La légende est parfaite. Sanson a érigé la sincérité au rang des Beaux-Arts, et tel un alchimiste, elle a transformé ses malheurs en chansons déchirantes, dans lesquelles, bien sûr, elle se raconte, mais aussi dans lesquelles nous nous retrouvons tous. Elles nous poignardent en plein cœur : « Quand je n’aurai plus le temps de trouver tout le temps du courage, quand j’aurai mis vingt ans à voir que tout était mirage, alors j’entends au fond de moi, une petite voix qui sourd et gronde, que je suis seule eu monde. » (Ma révérence, 1979)
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