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Paris à la tronçonneuse

Entretien avec Didier Rykner ("La Disparition de Paris", Les Belles Lettres, 2022)


Paris à la tronçonneuse
Anne Hidalgo aux côtés de son premier adjoint Emmanuel Grégoire à l’Hôtel de Ville de Paris, 3 juillet 2020 © Bertrand GUAY / AFP

L’Hôtel de Ville ne ménage pas ses efforts pour « réinventer » Paris et rendre la capitale « plus belle ». Une tentative de destruction justifiée par une « doctrine » municipale délirante. Heureusement, les Parisiens se mobilisent via les réseaux sociaux pour limiter la casse. Dans La Disparition de Paris, Didier Rykner dénonce l’acharnement méthodique contre notre capitale.


Il paraît que c’est à ça qu’on les reconnaît. Anne Hidalgo et son équipe osent donner des leçons de beauté et d’esthétique urbaines. Sans rire, Emmanuel Grégoire, le premier adjoint du maire de la capitale, a présenté à la mi-janvier son « Manifeste pour la beauté de Paris ». Un chef-d’œuvre d’abstraction qui brouille notre compréhension de l’idéologie de la candidate à la présidence de la République. Il s’agit bien d’une idéologie puisque Emmanuel Grégoire parle de « doctrine » lorsque d’autres évoqueraient un programme. À l’entendre, les occupants de l’Hôtel de Ville sont de fervents défenseurs du patrimoine, c’est pour cela que ce manifeste, qui se veut un guide de bonne gestion de l’espace public, fixe « une ligne directrice » pour « protéger le mobilier urbain historique » et « accélérer la transformation » de Paris.

Hormis Hidalgo, qui souhaite la « transformation » de la capitale ? Mais que les sceptiques se rassurent, celle-ci se fera avec « rigueur et amour ». Pour le prouver, le guide-beauté de notre édile nous explique que, grâce à elle, Paris sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle », que l’espace public sera « utile pour le plus grand nombre » et que son « visage végétal » sera « une réponse à la crise climatique ». Paris connaissant les mêmes menaces que la forêt amazonienne, on ne peut que soutenir cette mesure.

Et parce que les Parisiens sont vraiment des fainéants et des conservateurs patentés, Mme Hidalgo nous promet de « bousculer des décennies et des siècles d’habitude », ceci avec « rigueur, méthode et ambition ».Pour l’ambition, on peut lui faire confiance.

Didier Rykner © Hannah Assouline

Ardent défendeur du patrimoine, le directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, Didier Rykner, publie La Disparition de Paris (Les Belles Lettres). Un ouvrage qui recense les scandales et les aberrations de la politique d’Anne Hidalgo qui, même si elle a changé de bureau, est à l’Hôtel de Ville depuis vingt ans.


Causeur. Paris est-elle vraiment amenée à disparaître ?

Didier Rykner. La disparition est à comprendre comme un effacement progressif. Disparition du Paris qu’on aime, du Paris dans lequel j’ai grandi, avec une grammaire urbaine, des monuments magnifiques… « La plus belle ville du monde » n’est pas une expression usurpée. Et cette disparition peut amener à une destruction complète du Paris que nous avons connu. Imaginons cette équipe municipale en place pendant trente ans, et sans aucune opposition : Paris n’existera plus. Si on ne se battait pas, les églises ne seraient pas restaurées, les fontaines ne seraient pas entretenues, le mobilier urbain haussmannien serait supprimé…

C’est pourtant ce Paris que nous aimons et que le monde entier vient visiter !

La municipalité ne prend plus la peine d’employer un langage politique pour exposer son programme. En présentant son « Manifeste pour la beauté de Paris », Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, a ainsi parlé de « doctrine »

La politique d’Hidalgo est parfaitement idéologique. Mais je n’arrive même pas à savoir à quoi elle répond. Et ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il y a de bons et de mauvais maires de tous bords, mais nous assistons à Paris à autre chose que je ne peux qualifier. On voit bien que c’est doctrinaire puisque leur discours est émaillé d’un vocabulaire qui leur est propre : ils parlent toujours de « réinventer », d’ « inclusif », de « participatif »… Et ils font systématiquement l’inverse de ce qu’ils disent.

Il arrive que les responsables politiques mentent, mais le mensonge n’est-il pas au cœur du discours de la municipalité ?

Je ne sais pas si Hidalgo et ses équipes mentent mais ce qu’ils disent n’est pas la vérité ! Ils racontent n’importe quoi et en permanence. Ils assènent des contrevérités et, quoi qu’il arrive, ce n’est jamais de leur faute. Ils disent l’inverse de ce qu’ils font ou ne répondent pas aux questions qui leur sont posées. C’est étrange, je n’arrive pas à savoir ce qu’ils ont en tête. Je ne comprends pas. On n’a jamais vu une telle idéologie qui aboutit à de telles destructions. Par exemple, ils se prétendent écologistes mais ils coupent des arbres et ne les replantent pas – il suffit de voir les nombreux témoignages sur Twitter ou les photos de Google Earth ; ils nous poussent à faire du vélo, ce qui est très bien, mais de nombreuses pistes sont si mal tracées qu’elles en sont dangereuses… Vraiment, je ne les comprends pas.

Le fameux « Manifeste pour la beauté » d’Anne Hidalgo nous annonce, parmi d’autres pépites, que la capitale sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle ». Ça veut dire quoi ?

Rien. C’est un bla-bla sans nom ! Et je pense même l’inverse : la ville n’est absolument pas bienveillante. On voit bien que les piétons sont désormais en danger partout face à des vélos et des trottinettes débridés qui brûlent les feux et roulent sur les trottoirs, que les chaussées sont si mal conçues – parce que la Ville fait maintenant des économies sur les géomètres ! – qu’à la moindre averse de grandes flaques d’eau sont infranchissables pour les personnes âgées, les handicapés ou les enfants… Et que dire des obstacles entre lesquels on doit slalomer : mobilier urbain planté en dépit du bon sens, terrasses « éphémères » envahissantes, etc. Où est la bienveillance ?

Grâce aux nombreux articles de La Tribune de l’Art, la municipalité a commencé à s’occuper des fontaines qu’elle laissait à l’abandon.

La Ville a en effet commencé à restaurer et remettre en eau plusieurs fontaines. Mais on est loin du compte ! Cela fait des années qu’on nous promet la restauration de la fontaine des Innocents qui ne cesse de se dégrader. Et l’affaire des fontaines de la porte de La Chapelle est emblématique de la gestion du patrimoine parisien. Ces fontaines des années 1930 ont été supprimées pour laisser place au tramway avec la promesse d’être remontées. Ici comme ailleurs, cette promesse n’est jamais tenue. Mais là, le bâti a été détruit et les mascarons en bronze qui les ornaient ont été remisés. Or, ces mascarons ont été volés – alors que la Mairie disait qu’ils étaient entreposés – et vendus au marché aux puces ! C’est la mobilisation des riverains et la médiatisation de cette affaire qui a permis de les retrouver. Dès le début, la mairie de Paris n’a affiché que mépris, négligeant la valeur artistique de ces mascarons et qualifiant ces fontaines Art déco de « gros blocs de béton ». Quand on voit leur amour du béton pour construire des tours et des pistes cyclables, il y a de quoi sourire. Ces fontaines ne seront donc jamais remontées alors que nous disposons de tous les éléments pour le faire.

Les Parisiens ont mis du temps à se réveiller, mais une véritable opposition populaire se dresse désormais contre cette politique folle.

Dès 2013, j’avais écrit un article intitulé « Le Paris enchanté d’Anne Hidalgo fait froid dans le dos ». Il était précurseur. Aujourd’hui, les réseaux sociaux jouent un rôle très important. Nous étions nombreux à tweeter, depuis des années, mais chacun dans son coin. Nous n’obtenions donc aucun résultat. Et puis un Parisien anonyme a créé le mot-dièse #SaccageParis. Le résultat est extraordinaire : cela fait moins d’un an que ce compte existe et il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait un article ou un reportage sur la saleté ou la désorganisation de Paris. Cela a réussi à fédérer une opposition qui n’est pas une opposition politique et qui, surtout, est amenée à durer. Tant qu’Anne Hidalgo mènera sa politique, la mobilisation continuera. Et vu qu’elle s’entoure de gens comme elle, ou pire qu’elle, #SaccageParis a de beaux jours devant lui. Il est en effet fascinant d’observer son entourage : des gens sectaires, idéologues, qui n’aiment pas ou ne connaissent pas Paris.

Mais ce dont je rêve, c’est que certains de ces gens qui alimentent cette mobilisation se fédèrent autour d’une nouvelle offre pour la capitale. Je ne suis candidat à rien, mais mon livre se conclut sur une série de mesures à prendre (mobilier urbain, propreté, publicités géantes, travaux, circulation, espaces verts…). J’aimerais que naisse un mouvement, non pas politique, mais « pour Paris », qui proposerait une gestion saine de notre ville.

En parlant de « gestion saine », on entend dire depuis un moment que celle-ci est tellement déplorable que Paris devrait être mis sous tutelle.

Selon certaines rumeurs, Bercy a l’intention de laisser passer les élections présidentielles, puis de mettre la capitale sous tutelle. C’est une nécessité en effet.

Il faudrait aussi modifier le mode de scrutin pour passer au suffrage universel direct. Je voudrais voter directement pour le maire de Paris, je ne suis pas citoyen du 14e ou du 2e arrondissement, je suis partout chez moi dans Paris. Arrêtons avec ce vote à l’américaine !

Faut-il s’inquiéter des JO de 2024 ?

Oui. D’abord, parce que l’organisation de cet événement coûte une fortune, même des villes en bonne santé financière mettent des années à s’en remettre, ensuite parce que les JO vont abîmer Paris. On voit déjà que tout est fait en fonction de cette date : le chantier de Notre-Dame, le « réaménagement » du Champ-de-Mars, la probable construction de la tour Triangle… Tous les projets actuels sont menés tambour battant pour être achevés en 2024. Ce n’est pas sérieux. Et puis l’état de la ville est tel qu’on ne pourra pas la métamorphoser d’ici deux ans, je pense donc que nous allons nous ridiculiser aux yeux du monde.

Une bonne interview, normalement, est contradictoire. Or, dans le meilleur des cas, je suis incapable de dire du bien d’Anne Hidalgo et de son entourage. Y aurait-il quand même une action à mentionner en leur faveur ?

Il y a un point moins négatif que les autres : les musées de la Ville. Leurs budgets d’acquisition restent un point noir mais globalement, ces établissements sont bien gérés et offrent de belles expositions. C’est le cas notamment du musée Carnavalet et du Petit Palais.

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Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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