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La diplomatie est un sport de combat

Un ancien diplomate français donne une leçon de politique internationale à ses successeurs.


La diplomatie est un sport de combat
Maurice Gourdault-Montagne, Ambassadeur de France, Soiree francaise du cinema, Berlin, le 10 février 2014 IRC/WENN.COM/SIPA

Cette année voit le vingtième anniversaire du discours historique de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est l’occasion de lire le livre récent de Maurice Gourdault-Montagne, à cette époque Conseiller diplomatique du président Chirac. Celui qui a eu une carrière diplomatique des plus distinguées rend hommage aux architectes de la politique étrangère de la France d’alors et passe en revue plusieurs décennies passées dans les coulisses du pouvoir et les ambassades.


Ambassadeur de France au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Chine, on pouvait craindre en parcourant les 396 pages de Les autres ne pensent pas comme nous de Maurice Gourdault-Montagne un propos diplomatique poli, ménageant les susceptibilités des uns et des autres. En préambule pourtant, l’auteur prévient : « il faut savoir s’affirmer ». La diplomatie n’est pas – seulement – une partie de gala : « Loin de l’image d’Épinal renvoyée par les voyages officiels, le ballet diplomatique des limousines et les communiqués sans saveur, la vie internationale est rude, la compétition âpre, les sentiments inexistants. S’en tenir à des amabilités pour ne pas envenimer la situation, s’effacer devant la force, la mauvaise foi ou la brutalité se révèle tôt ou tard contre-productif ». 

Distribution des points

Michel Gourdault-Montagne passe en revue les présidents qu’il a servis, de Giscard à Macron, et les ministres des Affaires étrangères. Évidemment, les deux grands hommes du livre sont Jacques Chirac et Dominique de Villepin. De ce dernier, ancien camarade de Sciences Po, il dit : « En d’autres siècles, il aurait été un condottiere, un capitaine corsaire ou un maréchal de Napoléon, de préférence pendant les Cent-Jours, quand l’entreprise devint impossible ». Et : « Villepin reste un personnage à part, plus littéraire que politique, plus combattant que négociateur, guidé par ses intuitions, évacuant le confort des certitudes ». Pour les prédécesseurs et les successeurs, le ton reste aimable mais moins dithyrambique. Croisé rapidement quand le jeune Gourdault-Montagne faisait ses premières gammes au Quai d’Orsay, Giscard n’échappe pas à une petite égratignure quant à son choix d’accueillir l’ayatollah Khomeiny en France : « Le seul cadeau que nous ayons reçu de Khomeiny est d’avoir baptisé « rue Neauphle-le-Château » l’artère où se trouve notre ambassade à Téhéran ». Les portraits défilent. Mitterrand : « Il émanait de sa personne, quoi qu’il fût de petite taille, une autorité naturelle, une allure souveraine qui reste aujourd’hui encore gravée dans ma mémoire. Je connaissais évidemment les controverses dont il faisait l’objet dans la vie politique nationale, mais il était le président de la République. Le jeune diplomate que j’étais fut tout impressionné ». Sarkozy : « Homme au contact facile, à la personnalité ouverte, voire chaleureuse, mais aux réactions parfois imprévisibles et dont il était parfois difficile de cerner les véritables attentes ». Entre ce qu’il y à faire et à ne pas faire pour un Président de la République, la nuance est subtile : Gourdault-Montagne reproche à Sarkozy d’en avoir trop fait face à Pékin avant les Jeux olympiques de 2008, en recevant le dalaï-lama, ce qui a compliqué un temps les relations entre la France et la Chine, mais aussi à Macron de ne pas en avoir fait assez en Inde, oubliant de se rendre à la grande mosquée de Dehli, geste qui aurait été fort à un moment où la population musulmane (une minorité de 175 millions d’habitants) est visée par une politique d’ « hindouïsation » sous l’égide du premier ministre, Narendra Modi.

Directeur de cabinet à Matignon de 1995 à 1997, Gourdault-Montagne revient aussi sur les débuts difficiles du premier mandat de Jacques Chirac, la quasi-exclusion des Balladuriens du gouvernement Juppé, l’inexpérience de certains ministres : « Le gouvernement est faible, manquant de personnalités d’envergure, et trop inexpérimenté. Sur les quarante ministres qui le composent, trente le sont pour la première fois et font leur apprentissage dans un contexte tendu qui ne laisse aucune place à l’amateurisme. Le jour où je suis obligé d’exiger fermement d’une secrétaire d’État qu’elle n’aille pas manifester dans la rue, les bras m’en tombent… ». La dissolution arrive bien vite. Rétrospectivement, ce ne fut pas l’idée de cette fin de siècle. Les rieurs en firent des tonnes, Charles Pasqua le premier : « Chirac vient d’inventer le septennat de deux ans ». Gourdault-Montagne relativise cependant : « Les cycles démocratiques vont et viennent, ils font la vie d’une nation, et sont des alternances nécessaires à la respiration de la démocratie. Chirac a toujours considéré que « donner la parole au peuple » n’était en rien une faute ». Une phrase qui prend une résonnance particulière en ce printemps 2023…

Atlas mondial des mentalités

La suite est encore plus intéressante quand on quitte la tambouille politique nationale pour suivre les suivre les aventures de l’ambassadeur, d’abord nommé au Japon. Le livre devient presque un atlas mondial des mentalités. L’auteur, conscient que « les Allemands ne sont pas des Français qui parlent français », essaie de saisir la psychologie des nations avec lesquelles il est en contact. En Allemagne, où il est en poste de 2011 à 2014, il décrit un pays encore imprégné par le sentiment de culpabilité, qui explique bien des choses, y compris son renoncement au nucléaire. Du Royaume-Uni – une fois passées les vexations offertes par le camp Blair lors de l’épisode irakien – Gourdault-Montagne semble avoir apprécié lors de son séjour à Londres le mélange de pompe monarchique, d’humour pince-sans-rire et d’esprit punk ; il semble aussi admirer le dynamisme culturel (« Je veux également dire un mot de l’importance de la scène musicale anglaise qui, de la comédie à l’art lyrique, est d’une exceptionnelle vitalité. Au-delà de ce constat, que chacun peut faire, c’est le modèle économique, quasi exclusivement privé, sur lequel repose cette industrie du spectacle, qui est remarquable ») et la capacité à faire vivre ensemble des communautés sans modèle assimilationniste à la française. Le diplomate arrive à dépeindre aussi de quelle façon les autres nous perçoivent. Il tente de nous mettre dans la tête d’Angela Merkel quand celle-ci est confrontée aux Français : « Je voyais que Sarkozy incarnait aux yeux de Mme Merkel le caractère imprévisible des Français, cette capacité d’improvisation qui exaspère les Allemands, mais qu’ils nous envient parfois secrètement, tant elle permet de s’adapter aux événements ». « Pour l’ancienne chancelière et les Allemands en général, [Emmanuel Macron] incarne l’archétype d’un esprit français, brillant, mais selon eux, parfois trop ardent, plus soucieux de lyrisme que de réalisme ». Concernant la Chine et sa volonté de récupérer Taiwan, Gourdault-Montagne propose une comparaison audacieuse : et si à côté de la France métropolitaine libérée en 1944 il était resté une Corse sur laquelle se serait replié le régime de Vichy ? MGM évite de trop tomber dans la logique chinoise et nuance tout de suite en rappelant que Tchang Kaï-chek, avant de se replier sur Taiwan, avait lutté contre l’occupant japonais en Chine continentale.

Au temps béni du chiraquisme 

Le livre de Gourdault-Montagne nous replonge une vingtaine d’années en arrière, au temps de la splendeur de la politique étrangère de Chirac. On pourrait définir le chiraquisme international comme un néo-gaulliste, avec une attitude réaliste, reconnaissant des États plutôt que des régimes, davantage sensible à la stabilité internationale qu’au devoir d’ingérence ; sans toutefois renoncer aux « valeurs » et faisant grand cas du rôle des instances internationales, là où de Gaulle ne voyait en elles que des « machins ». Le livre revient évidemment sur le bras de fer franco-américain de 2003 et la construction du non français. L’auteur glisse non sans malice qu’après cet épisode irakien, l’administration Bush et Condoleezza Rice en tête « étaient devenu[e]s plus attenti[ve]s aux analyses de Chirac et de la France ». Ce fut aussi le temps de l’axe Paris-Berlin-Moscou, quand Chirac, Schröder et Poutine tenaient des conférences de presse ensemble contre la guerre en Irak. Le diplomate heurtera les âmes sensibles, qui regarderont les événements de 2003 avec les lunettes de 2022, quand ils liront le passage sur les parties de pêche de Gourdault-Montagne avec son homologue russe, Igor Chouvalov. Il fut même question que la Russie intégrât la France et l’Allemagne parmi les actionnaires d’EADS. Ce fut l’époque, post 11-Septembre, où Jacques Chirac proposa une alliance des civilisations, aux côtés du premier ministre espagnol José Zapatero et de… Recep Erdogan ! Ce dernier n’avait pas encore la prétention d’être le grand sultan de la Méditerranée orientale. On en vient à se demander si, en perdant Jacques Chirac en 2007 (et surtout avec lui, une certaine voix, originale, de la France), l’ordre du monde n’a pas perdu un facteur de sa stabilité, et si l’appétit des despotes au marge de l’Europe n’en a pas été réveillé.

Les autres ne pensent pas comme nous

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