La presse permet de faire les gouvernements, de les défaire, d’inciter les femmes à perdre du poids pour être « belles en maillots » à l’approche de l’été, de suggérer aux hommes d’acheter tel modèle d’automobile. Bref, la presse est un terrain de jeu formidable où le meilleur de la publicité peut voisiner avec le pire de la poésie, et où chaque article dit l’époque, et chaque mot trahit le temps. Les journaux sont d’une importance capitale, ce qui explique qu’un quotidien titrant « J’accuse » le lundi, serve le mardi à emballer le poisson. Et celui révélant le scandale du Watergate le mardi, serve le mercredi à envelopper des poireaux chez le marchand des quatre-saisons. C’est la plus roborative des denrées périssables.
Mais la presse est en crise. La diffusion plonge, la crise économique entraîne une baisse considérable des investissements publicitaires. Des quotidiens historiques ont mis la clé sous la porte (France-Soir, La Tribune…), les vautours tournoient au-dessus des rotatives, la mélancolie gagne les salles de rédaction.
Pour échapper à cette morosité, nous apprenons que le patron d’un hebdomadaire régional avait trouvé un « truc ». Il est soupçonné par la justice d’avoir organisé une vaste « arnaque à la crevette brésilienne » pour renflouer ses caisses. « Propriétaire et éditorialiste du Journal Toulousain, l’homme d’affaires Marcial L. – nous apprend l’AFP – a été placé en détention provisoire le 24 janvier après avoir été mis en examen à Bordeaux pour « escroquerie en bande organisée », « association de malfaiteurs » et « blanchiment » » La justice soupçonne le petit patron de presse d’avoir escroqué entre 120 et 150 personnes, qui auraient versé plus de 15 millions d’euros en pensant investir dans… l’élevage de crevettes au Brésil. L’enquête rapporte que l’éditorialiste toulousain aurait promis – dans cette affaire sud-américaine loufoque – un retour sur investissement allant jusqu’à… 200%. La crevette ça peut rapporter gros… Et plus c’est gros, plus ça passe.
On imagine aisément ce monsieur, à une heure avancée de la soirée, au comptoir du Café des sports en train de demander à la cantonade : « Qui serait intéressé par un placement sûr et à fort rendement ? » Et après un instant de silence, prenant une voix mystérieuse et pénétrée… « Les crustacés, Messieurs. C’est l’avenir. Les crustacés aquatiques, je précise ! Allez, patron, remettez-nous ça… »
Pour l’heure, les investigations se poursuivent. Les enquêteurs cherchent à déterminer si cette colossale arnaque aux crevettes a permis de financer directement l’hebdomadaire régional – et jusqu’à quelle hauteur. Conséquence accablante : les 22 emplois du journal sont menacés… « Notre avocat – déclare Thomas Simonian coordinateur de la rédaction – a demandé au tribunal de commerce de nommer un administrateur provisoire le plus rapidement possible, et un appel à repreneur est lancé. » Bonne chance collègues !
C’est la crise…
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