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La Cour Suprême américaine peut-elle transcender les clivages politiques?


La Cour Suprême américaine peut-elle transcender les clivages politiques?
Le bâtiment de la Cour suprême des États-unis d'Amérique. Photo: Jarek Tuszyński / Creative Commons.

Le décès du haut magistrat, Ruth Bader Ginsburg, femme hors du commun, dont le combat pour les droits des femmes restera gravé dans l’histoire, marque un tournant dans la politique américaine et les élections présidentielles de 2020 qui polarisent l’Amérique aux deux extrêmes du spectre politique. Suite à la disparation de Madame Ginsburg, la Cour Suprême est aujourd’hui, sur l’échiquier politique, partagée équitablement entre la gauche et la droite. Cette haute juridiction, normalement composée de neuf juges, joue un rôle régulateur dans le système constitutionnel de poids et contrepoids entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La nomination d’un nouveau magistrat va nécessairement modifier cet équilibre.

Des échanges houleux en perspective

Le Président Trump a annoncé qu’il désignerait très prochainement une femme conservatrice à la plus haute fonction de la magistrature américaine. Cette dernière sera auditionnée par le Comité Judicaire du Sénat, constitué de 12 Républicains et 10 Démocrates et dont Kamala Harris est membre. La candidate doit être validée par la majorité du Sénat. Les 100 Sénateurs actuels se répartissent entre 53 Républicains contre 47 Démocrates. Trois Sénateurs Républicains ont néanmoins exprimé leur réticence à nommer un nouveau juge avant les résultats des élections du 3 novembre. En cas d’un vote à voix égale, le Vice-Président départagera le scrutin en faveur du choix du Président. Nancy Pelosi, Démocrate et Présidente de la Chambre des Représentants, est déterminée à faire obstacle à la candidate de Trump et menace même de lancer une nouvelle procédure de destitution contre lui. Pour l’approbation sénatoriale de sa candidate conservatrice, le Président Trump pourrait également compter sur le soutien éventuel mais incertain de certains Sénateurs Démocrates qui se trouvent dans des circonscriptions à dominance républicaine. En 2018, lorsque quatre Sénateurs Démocrates se sont opposés à la nomination du juge conservateur Brett Kavanaugh à la Cour Suprême, leurs électeurs n’ont pas renouvelé leur confiance à l’occasion de leur réélection.

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Kamala Harris à la Convention démocrate, 20 août 2020. Auteurs : DNC via Sipa USA/SIPA. Numéro de reportage : SIPAUSA30231961_000048

L’influence directe de la Cour Suprême sur la vie des Américains

Historiquement, dans sa lutte pour la protection des libertés des citoyens, la Cour Suprême a pris des décisions courageuses mettant fin à la ségrégation raciale et autorisant le mariage pour tous en 2015. En 1973, dans la célèbre affaire « Roe vs. Wade », la haute juridiction américaine a consacré le droit à l’avortement pour les femmes. L’ex-Première Dame Républicaine Betty Ford a même plébiscité cet arrêt en 1975 comme étant « la meilleure chose du monde… une décision majeure. » Depuis ce jugement historique, la grande majorité des femmes américaines considère le droit à l’I.V.G. (Interruption Volontaire de Grossesse) comme acquis, relevant du droit à disposer de leur corps.

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Cependant, bien que jurisprudentiellement établi, il demeure toujours susceptible d’évolution. En mai 2019, l’État d’Alabama a adopté une loi controversée interdisant tout avortement sauf si la vie de la mère est en danger. Cette législation ne permet même pas d’exception dans des cas de viol et d’inceste, obligeant les victimes à aller jusqu’au terme de leur grossesse. Les femmes de cet Etat sont mises à rude épreuve en attendant que sa constitutionnalité soit un jour contestée devant les juridictions. Nombreuses sont les femmes qui se souviennent des I.V.G. clandestines dans des conditions sanitaires dangereuses au cours desquelles elles ont été exposées aux risques de stérilité voire de décès.

Choix électoraux stratégiques

Un sondage récent du Pew Research Center révèle que plus d’un tiers des Républicains sont en faveur de l’avortement. Des femmes conservatrices pro-avortement ont déjà manifesté leur désapprobation dans les médias. Ces mêmes Américains soutiennent par ailleurs la politique économique, sécuritaire et étrangère du Président Trump.

À ce jour, 38% des électeurs américains inscrits n’adhèrent à aucun parti politique selon une autre étude du même Pew Research Center. Cette masse électorale dépasse en nombre les électeurs inscrits ayant clairement adhéré aux Démocrates ou aux Républicains. Ce bloc constitue le socle le plus important des élections présidentielles en 2020. 7% des électeurs, plus centristes, restent indécis quant à leur vote. Le 3 novembre, leurs voix feront pencher la balance des élections d’un côté ou de l’autre. Malgré cette inconnue, Donald Trump fait le même pari qu’en 2016. En effet, il a promis à sa base électorale de nommer des conservateurs aux plus hauts postes du judiciaire américain. Trump tient à respecter ces mêmes engagements pour gagner sa réélection en 2020.

Pérennité jurisprudentielle et constitutionnelle

Cette vague conservatrice suscite une inquiétude auprès d’une frange d’Américains inquiets à propos du sort de l’avortement et d’autres sujets d’actualité, mais la réalité semble plus nuancée. Une étude réalisée par Andrew D. Martin et Kevin M. Quinn se révèle instructive. L’analyse approfondie du profil des magistrats de la Cour Suprême nommés à vie, de leur appartenance politique, de leur éducation, de leurs prises de position dans les décisions depuis plus de 80 ans (1937 -2019), montre que la jurisprudence évolue lentement et modérément dans le temps et que les juges demeurent garants d’une stabilité jurisprudentielle. Depuis presque 250 ans, le peuple américain a dû faire face à de nombreuses crises et guerres qui ont forgé le caractère de cette nation. Sous l’égide de la Constitution, ses pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif ont su s’adapter aux défis, tout en assurant une continuité institutionnelle ainsi qu’une évolution progressive et égalitaire des droits et libertés individuels garantis par ce même texte fondateur.

Ruth Bader Ginsburg
Ruth Bader Ginsburg

En 2020, les élections présidentielles ainsi que la nomination d’un nouveau haut magistrat à la Cour Suprême devraient suivre cette tendance, vieille de deux siècles et demi. En signe d’espoir, on se rappelle que l’emblématique Madame Ginsburg, une femme engagée à gauche, a noué une forte amitié de presque 20 ans avec un des juges les plus conservateurs de l’histoire de la Cour Suprême, Antonin Scalia, décédé en 2016.

Malgré leurs profondes différences et les clivages partisans qui déchirent le pays, cette relation a nourri des débats animés dans le respect mutuel que chaque Républicain et chaque Démocrate se doit dans ce face-à-face, sans violence ni haine. Cette amitié inattendue servira d’exemple pour chaque Américain qui a le devoir de prendre la voie de la réconciliation entre Démocrates et Républicains.



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Avocat franco-américain et associé fondateur du cabinet Euro Legal Counsel Group, Président de Republicans Overseas Action (Monde) et France, Chercheur Invité du Danube Institute

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