Accueil Politique La Cour des Comptes a décidé, Hollande exécutera-t-il ?

La Cour des Comptes a décidé, Hollande exécutera-t-il ?


Longtemps les douaniers en gardaient l’entrée et il fallait montrer patte blanche pour pénétrer dans une institution qui avait l’outrecuidance de rivaliser avec l’Inspection des finances et le Conseil d’Etat. La Cour des Comptes, juridiction financière de l’ordre administratif, héritière de la Curia Regis, installée à ses fonctions par Napoléon Bonaparte et gardienne du bon usage des deniers publics. Les élèves de l’ENA en rêvent, les administrations la redoutent et les journalistes s’en gavent, surtout dans une période qui augure d’une crise des finances publiques sans précédent. Véritable vivier d’hommes politiques en puissance, la Cour peut s’enorgueillir d’avoir donné à la France deux Présidents de la République en la personne de Jacques Chirac et de François Hollande, des grands serviteurs de l’Etat comme Pierre Joxe et Philippe Seguin, ainsi qu’une multitude de hauts fonctionnaires à la solde des ministres. Sous les fenêtres du Palais Cambon, en fresque, tout un nombre de symboles qui disent les valeurs de la juridiction : la lampe, le mortier, le miroir, la balance, le faisceau et la hache pour la vigilance, l’autorité, la fidélité de la réalité, la justice et le pouvoir.

Sous l’influence de grands premiers Présidents, la Cour est progressivement devenue une institution connue du grand public et dont seule la notoriété donne à ses rapports un effet contraignant. On raconte qu’elle fut auparavant une sinécure pour hauts fonctionnaires auxquels Clemenceau pensait peut-être en disant: « Les fonctionnaires sont un peu comme les livres d’une bibliothèque : ce sont les plus haut placés qui servent le moins. » L’INA a d’ailleurs conservé une vidéo de ce temps béni où le désormais président normal y avait sa place et qui, à l’époque, ne manquait pas d’ironiser sur son poste de magistrat au Palais Cambon : « Si je n’étais plus député je redeviendrais conseiller référendaire à la Cour des Comptes. Qu’est ce que ça veut dire? Ça veut dire que si je ne faisais absolument rien à la Cour des Comptes, je continuerais à gagner 15 000 francs par mois, 25 000 si je faisais des rapports mais sans forcément en faire énormément. Je pourrais doser mon travail, rester chez moi quand je suis fatigué, aller à la Cour des Comptes dans mon bureau pour passer des coups de téléphone… Bref, je serais totalement libre! Je serais un vrai privilégié comme je l’étais avant d’être élu député. »

Désormais, le zèle de la Cour à pointer les défaillances dans son contrôle accru des dépenses publiques et de l’évaluation de la performance des politiques publiques font regretter à beaucoup son inanité d’antan. Plus un seul responsable politique de premier plan ne se passe des assertions des magistrats de la rue Cambon pour justifier telle ou telle coupe budgétaire, telle mesure impopulaire, et nananère. Et c’est là où le bât blesse. Car à force de préconiser toujours et encore plus, et dans le cadre d’une médiatisation exponentielle, la Cour des Comptes est devenue un élément incontournable dans la prise de décision des gouvernants, au point que 72,5% de ses propositions sont partiellement ou totalement suivies. Cette emprise du juridictionnel sur l’exécutif fait redouter le fameux « gouvernement des juges », cette locution développée par l’universitaire Edouard Lambert à propos de l’interprétation personnelle des magistrats dont le doyen Carbonnier disait qu’elle était « la forme intellectuelle de la désobéissance. » La récente publication de l’audit de la Cour des Comptes, concomitant à l’élection de François Hollande et par ailleurs commandé par ce dernier est à cet égard particulièrement révélatrice. Les sages formulent en effet quatre principales recommandations incitant non pas à stabiliser la dépense mais à la baisser, préconisant de ne pas augmenter les impôts alors que les prélèvements ont déjà été revus à la hausse, enjoignant de baisser la masse salariale de la Fonction publique et donc de ne pas recruter, appelant à la réduction de la facture sociale. Dans le même temps, la Commission européenne appelait la France à ne pas augmenter le Smic, à reculer encore l’âge de la retraite et à ne pas supprimer la TVA sociale.

Que fera François Hollande ? A l’époque des lits de justice, lorsque le prince arrivait, les magistrats se taisaient. Aujourd’hui, il fait peu de doutes que le Président du changement ira se cacher derrière les grandes robes des corbeaux. En attendant, il lui faudra trouver 33 milliards d’euros en 2013 pour tenir ses engagements de réduction du déficit… selon le rapport annuel de la Cour des Comptes.

*Photo : Ina.fr



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