« Des Juifs songent sérieusement à venir s’installer en Corse face à la recrudescence des actes antisémites en France. J’ai reçu une dizaine d’appels téléphoniques, rien que la semaine dernière », indique Levi Pinson, rabbin de Corse.
En juin dernier, des milliers de casseurs semaient le chaos dans plusieurs villes de France après la mort du jeune délinquant Nahel. La Corse fut la seule région française épargnée par les dégradations et les violences. Quelques mois plus tard, l’ile de beauté se distingue, de nouveau, du continent marqué par le développement d’un antisémitisme débridé. En Corse, pas une seule mezouza n’a été retirée, pas un seul patronyme n’a été effacé sur les boîtes aux lettres, pas une seule étoile de David ni de croix gammée n’a été taguée, pas un seul chant néonazi n’a été hurlé dans les transports en communs, pas un seul slogan anti israélien n’a été crié dans les rues ajacciennes par une foule brandissant des drapeaux palestiniens. En Corse, les synagogues d’Ajaccio, de Bastia et de Porto Vecchio n’ont pas été vandalisées, et les rabbins ne sont pas plus menacés de mort que les quatre à cinq cent membres de la communauté juive de corse.
Alors que les actes antisémites se propagent à une vitesse grand V sur le continent, la Corse s’honore à n’en compter pas un seul. L’île serait-elle la seule région de France, voire d’Europe, où les juifs peuvent vivre en sécurité, à tel point que des familles de confession juive vivant en métropole souhaitent s’y installer ? « Attention tout de même à ne pas trop idéaliser. Il y a comme partout des antisémites en Corse mais il y en a peu », relativise le président de l’association d’amitié corso-israélienne, « Terra Eretz Corsica Israël », Frédéric Joseph Bianchi avant d’ajouter que « la grande différence avec le continent est que l’antisémitisme n’ose pas se manifester : il ne trouve aucun relais dans la classe politique, et en Corse la notion de respect de l’autre reste encore fondamentalement très présente. »
La manif pro-Gaza fait un flop
Les Corses n’ont pas tergiversé pour soutenir Israël et le peuple juif comme en témoigne la manifestation du 12 octobre, organisée par l’association, à Ajaccio, qui a rassemblé 300 personnes, des Corses, juifs et non juifs, des élus. Des drapeaux corses et israéliens trônaient place Foch. En métropole, c’est plutôt le trouillomètre qui domine. À peine accroché aux frontons de certaines mairies que le drapeau d’Israël fut retiré. Comme à Strasbourg où il a tenu deux jours.
Depuis les attaques, Frédéric Joseph Bianchi a lancé un appel aux dons pour aider à la reconstruction des kibboutz détruits par les attaques du Hamas et prévoit une conférence sur l’antisémitisme dans les prochaines semaines.
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Les manifestations pro palestiniennes, quant à elles, ne prennent pas sur l’ile. Celle – unique – organisée, début novembre, à l’appel du PCF et de la CGT de Haute-Corse qui s’est tenue devant la préfecture de Bastia pour demander l’arrêt des bombardements sur Gaza, a rassemblé à peine trente personnes. Un flop. Un contraste saisissant avec la métropole où les manifestations rassemblent des dizaines de milliers de personnes qui, dissimulés derrière le paravent pacifique de l’appel au cessez-le-feu, crient leur haine d’Israël. Et pourtant, étant donné la part de population immigrée sur l’ile, la manifestation aurait pu prendre. Mais c’est bien mal connaitre l’ile que de le penser. Selon l’Insee, il y a environ 10% d’immigrés, notamment d’origine marocaine qui vivent en Corse.
La population musulmane priée d’être discrète
Mais voilà, la communauté maghrébine se tient à carreau. Ses membres savent bien que les Corses ne se laissent pas faire devant des revendications religieuses de l’islam radical – comme lors de l’affaire du burqini, en 2016, à Sisco – et qu’ils répliquent lorsque des délinquants s’en prennent aux représentants de la force légitime et de la préservation de la sécurité civile – comme lorsque les pompiers furent agressés dans le quartier des jardins de l’empereur, à Ajaccio. La population s’était alors sentie également blessée – toute famille corse comptant très souvent un pompier parmi ses membres – et était descendue dans la rue pour manifester son soutien, sa colère mais aussi pour mettre la pression sur les agresseurs issus de la communauté maghrébine. Bilan : 0 incident de ce genre depuis. Ce qui ne veut pas dire que la violence n’existe pas par ailleurs. La Corse reste une ile sauvage où la vendetta peut encore s’exercer et où la violence est souvent liée aux règlements de compte, notamment sur fond de trafic de drogue. Mais cette violence ne vient jamais frapper des « innocents ». Et, les insulaires ne vivent donc pas dans la peur de se faire agresser, violer, tuer comme c’est le cas sur le continent. Les femmes sont reines et les enfants sont rois. On n’y touche pas, ils sont sacrés comme les mœurs et la manière de vivre.
Mais si des juifs viennent s’installer en Corse, c’est aussi parce qu’il y a un lien historique et quasi existentiel qui les relie à l’île. Dans son dernier essai sur l’histoire de la Corse[1], paru début octobre, Paul-François Paoli rappelle que la Corse a été une terre d’accueil dans l’histoire pour le peuple du Livre. Lorsque le héros de l’indépendance de la Corse, Pascal Paoli, fonda le port de l’Ile Rousse en 1765, il fit venir des négociants juifs pour dynamiser l’économie insulaire grâce à leur savoir-faire dans l’art du commerce et des échanges. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Corses ont caché et protégé les juifs qui vivaient sur l’ile. Aucun n’a été déporté. Bravoure, sens de l’honneur et franchise composent le caractère des Corses qui exècrent au plus haut point la délation, la lâcheté et la traitrise. L’ile de beauté est ainsi devenue l’ile des « Justes ». Aujourd’hui, les Corses honorent leur statut une fois encore !
Mais, Frédéric Joseph Bianchi va un peu plus loin pour expliquer cette relation particulière qui unit les Corses aux juifs. « Les Corses et le peuple juif vivent sur deux terres qui dans l’histoire ont été occupées, la Corse par les Grecs, les Aragonais, la République de Pise, puis de Gènes avant de devenir française; Israël ce fut par les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Arabes, les Turcs et bien d’autres peuples jusqu’aux Anglais avant la création de l’Etat hébreu en 1948 ! »
Pour le président de l’association Terra Eretz Corsica Israël, « cette identification mutuelle – les Corses se projetant dans le peuple juif et inversement – est l’un des moteurs de cette bienveillance réciproque. » À travers ce parallélisme historique, les Corses et les Juifs ont donc le sentiment de partager un même destin et un même rapport à la terre – terra en corse. Eretz, en hébreu, signifie une terre désirée comme promise et indépendante, une terre comprise comme patrie. Les Corses sont fiers de leur ile, de leurs racines, de leur identité et ne comprennent pas la façon dont les élites qui nous gouvernent ont instillé et développé la haine de ce qu’a été la France. C’est d’ailleurs pour cette raison que des Corses disent qu’ils ne se sentent plus français, et se replient sur leur identité corse. Tous les essais de Paul François Paoli analysent finement cette déception que ressentent les insulaires pour la France – autrefois admirée pour sa grandeur.
Les juifs partagent avec les Corses un rapport émotionnel à la terre, au sacré profane et religieux, à l’identité – on ne devient pas Corse, on nait Corse comme on nait juif – et un certain sens du courage. Les Corses sauront défendre ces derniers s’ils sont attaqués.
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[1] Une histoire de la Corse française, de Sampiero Corso à nos jours, p.66, Paul-François Paoli, Edition Tallandier