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Ordre du jour: la «question juive»

«La Conférence», un film de Matti Geschonneck, en salles le 19 avril 2023


Ordre du jour: la «question juive»
© Constantin Film

Sur la rive du lac Wannsee, dans la banlieue occidentale huppée de Berlin, la villa existe toujours. Elle abrite aujourd’hui un centre éducatif consacré à la fameuse « Conférence de Wannsee », cette réunion d’une quinzaine de hiérarques nazis qui, le 20 janvier 1942, autour de Reinhard Heydrich, le chef de la SS (lequel, comme l’on sait, sera assassiné à Prague quelques mois plus tard), décida du sort réservé aux six millions de Juifs européens.

Réalisé par Matti Geschonneck, vétéran du cinéma d’outre-Rhin et natif d’Allemagne de l’Est, La Conférence, pour ce qui est des extérieurs, a été tourné sur les lieux mêmes du sinistre conclave – le décor intérieur étant quant à lui reconstitué en studio, documents d’époque à l’appui. À partir du procès-verbal établi alors par Adolf Eichmann (chargé des affaires juives au sein de l’Office central de sûreté du Reich) dont ne subsiste qu’une seule et unique copie, le scénario, signé Magnus Vattrodt, n’est jamais, faute d’un verbatim en bonne et due forme comme source indiscutable, que la restitution purement imaginaire des échanges verbaux supposés entre ces messieurs, au cours des 90 minutes qu’ont duré les débats, hors pauses-buffet  –  car ils étaient gourmets. Rappelons que ces hauts-fonctionnaires compétents et zélés avaient tous entre 35 et 50 ans: carrières en pleine ascension.

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Unité de lieu, unité de temps : le film prend le parti de ne s’extraire jamais de la scène du crime ; les futures victimes en sont le hors champ. Incarné par une brochette de comédiens expérimentés, à commencer par l’Autrichien Philipp Hochmair dans le rôle de Heydrich en président de séance plein d’une courtoisie douceâtre et vipérine, le huis-clos bureaucratique qui planifie les camps de la mort est rendu d’une façon plutôt crédible : depuis l’euphémisation systématique de la « solution finale », envisagée comme « traitement » (il s’agit d’hygiène raciale), jusqu’aux burlesques pinaillages juridiques sur la question de savoir comment s’occuper des Germains demi-juifs, voire quart-de-juifs, en passant par les suspicions intestines et autres rivalités internes entre membres décisionnaires au sein de l’appareil d’Etat, tous renchérissant sur leurs gages de loyauté au Führer, ou encore les macabres arguties relatives aux coûts de fonctionnement induits (frais de bouche, transports, ressources humaines)… L’abstraction technocratique, dans son obscénité ontologique, apparaît ici hyperbolisée par la nature ignoble du projet dont il s’agit.


A titre de pièce à conviction, votre serviteur ne résiste pas à citer dans le texte un extrait du PV de Heydrich en personne [1] : « Au cours de la solution finale, les Juifs devront être mobilisés pour le travail sous une forme appropriée avec l’encadrement voulu à l’Est. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre. Pour finir il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s’agira évidemment des éléments les plus résistants, puisqu’issus d’une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d’être le germe d’une nouvelle souche juive, pour peu qu’on les laisse en liberté ». Qui dira que le SS-Obergruppenführer n’avait pas l’esprit de synthèse ?  Bref, La Conférence puise aux sources les mieux avérées – là n’est pas la question (sans mauvais jeu de mots).

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Reste que le sacro-saint « devoir de mémoire » n’appelle pas, de toute nécessité et sans autre forme de procès, l’adhésion a priori à n’importe quelle forme d’esthétisation sous les auspices du Septième art, fussent-elles bardées des meilleures intentions du monde, s’agissant en l’espèce d’un épisode historiquement clair, avéré, consigné, dont les remugles particulièrement puissants n’avaient nul besoin impérieux de ressurgir plus de 70 ans après. On peut donc se demander s’il n’y a pas une certaine complaisance à « documenter » en 2023, sur le registre de la fiction, qui plus est dans un style propret et passablement académique, un consistoire de crapules. C’est faire beaucoup d’honneur à cette immonde « Conférence de Wannsee » que de la donner en spectacle sur grand écran.

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La Conférence. Film de Matti Geschonneck. Allemagne, couleur, 2022. Durée: 1h48. En salles le 19 avril 2023.

[1] cité dans l’excellent ouvrage de Jean-Christophe Buisson, Le noir et le brun, p.311. Perrin, éd. 2022.




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