La cinéphilie vagabonde de Michel Marmin, Pierre-Guillaume de Roux Éditions.
À ceux qui doutent encore que la réalité imite l’art, je suggère d’imaginer Donald Trump à la place de William H. Hearst, le magnat de la presse, dans le chef-d’œuvre d’Orson Welles : Citizen Kane. Les coïncidences sont plus que troublantes. Donald Trump est le Citizen Kane du vingt et unième siècle dont la morale pourrait se résumer ainsi : dans la vie, il n’y a que les gagnants et les perdants. Plus dure sera la chute pour les loosers, car leur vie recèle sans doute plus d’énigmes et de blessures intimes.
Affranchi de toute morale
Barack Obama est un enfant de chœur à côté de Trump et Joe Biden une chiffe-molle sans Rosebud. Aucun des deux ne pourrait inspirer un metteur en scène comme Fritz Lang, celui du docteur Mabuse, ou comme Orson Welles. Si j’ose ici une confidence – et pourquoi ne me le permettrais-pas ? – « La soif du mal », « La dame de Shanghai », sans oublier « Monsieur Verdoux » (il en fut le scénariste) et, bien sûr, « Le Troisième Homme » qui lui doit tout, sont parmi mes favoris. Ils m’ont initié au septième art et affranchi de toute morale.
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J’y songeais ce matin en dégustant La cinéphilie vagabonde de Michel Marmin qui s’ouvre sur « Kiss me deadly » (1955) qui reste gravé dans la mémoire de tout cinéphile qui se respecte comme un chef-d’œuvre du genre. J’avais quinze ans quand je l’ai vu et, comme Marmin, j’ai été secoué par le climat de désespoir métaphysique absolu qui emporte le film où la seule promesse faite à l’humanité est celle de son anéantissement sans le moindre indice de transcendance. Michel Marmin écrit dans le pur esprit mac-mahonien, le seul qui vaille, que c’est la mise en scène, et la mise en scène seule, qui confère au film sa singulière beauté. Elle est fondée, ajoute-t-il, sur un parti-pris d’esthétisme visuel et sonore qui vise à une dématérialisation des êtres et des choses, ceux-ci devenant alors les figures quasi abstraites d’une danse macabre stylisée et épurée par un noir et blanc radical.
L’apocalypse en quatrième vitesse
Ce que le film annonce, c’est la fin du monde, l’apocalypse nucléaire. Rassurez-vous: elle ne saurait tarder. Le cinéma a toujours une longueur d’avance sur son temps (si vous en doutez, revoyez « Soleil vert » de Richard Fleischer) et c’est pourquoi il vieillit moins vite que la littérature. Il ne se soucie pas d’être dans le monde de la culture, ni d’atteindre un clacissisme universitaire. « En quatrième vitesse » est le titre français de « Kiss me deadly », titre que Marmin trouve idiot et insignifiant. Il a tort : tous les grands films ont été tournés en quatrième vitesse, à l’image de nos vies quand elles ne s’embourbent pas dans une routine sans saveur. Le jour où nous accordons trop d’importance à nos vies, voire à nos œuvres, signe un déclin irréversible dont même le baiser de la mort ne nous procurera plus le moindre orgasme.
La cinéphilie vagabonde de Michel Marmin, Pierre-Guillaume de Roux Editions.
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