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La chute de Kaboul: dernier avertissement aux Occidentaux


La chute de Kaboul: dernier avertissement aux Occidentaux
Avant la conférence de presse des Talibans, Kaboul, 17/8/2021 Photo by Bashir Darwish/ UPI Photo via Newscom/upiphotostwo816579/UPI/Newscom/SIPA/2108172306 SIPAUSA31569758_000008

Après l’entrée des Talibans à Kaboul, l’Occident prendra-t-il enfin conscience du danger islamiste global ?

L’Afghanistan est un pays lointain, peuplé de montagnards archaïques peut-on entendre, pourquoi donc s’en soucier ? D’ailleurs, les Talibans qui viennent de reprendre Kaboul n’ont-ils pas promis qu’ils resteraient « modérés » dans l’imposition de la charia et que le pays ne sera plus une base pour le terrorisme international ? Cette armée clanique se contentera sans doute de la mise en coupe réglée du territoire afghan et de ses champs de pavots. Pas de quoi s’inquiéter, vraiment ? Ces « barbus pachtounes » auraient donc, sans soutien intérieur et sans aide extérieure, mis en déroute en quelques jours l’armée afghane qu’ont tenté de former les Etats-Unis pendant vingt ans ? Ces islamistes talibans n’auraient donc aucun lien avec d’autres islamistes, sur place, au Pakistan voisin, dans cet Orient aussi proche de nous que de l’Asie centrale, ou même dans la vaste Afrique parcourue elle aussi par les réseaux islamistes à la fois concurrents et concourant à la même fin, celle de « la fin de l’occidentalisation » ?

Quand réalisme rime avec court-termisme

Depuis les années 60, dans un double mouvement complexe, l’Afghanistan s’est en partie modernisé ou « occidentalisé », et est devenu par ailleurs un terrain d’affrontement géopolitique à l’échelle mondiale. Dans les années 70, s’y manifestait la guerre plus ou moins froide entre deux modernismes, celui de l’Est et celui de l’Ouest, entre l’URSS et les Etats-Unis. A partir des années 2000, les puissances occidentales y ont pris pied avec pour but annoncé d’assécher une des sources du terrorisme islamiste international. Mais faute de véritables perspectives stratégiques, les moyens considérables investis ont alimenté tout autant la corruption que le ressentiment, les divisons que la résistance locale traditionnellement islamiste. Et faute d’avoir compris que le terrorisme n’est que la forme la plus violente de l’offensive islamiste globale, les Occidentaux ont mené une guerre de basse intensité sans issue. Aujourd’hui, la Chine se réjouit de la débandade occidentale et pense pouvoir récupérer cette position stratégique sur ses « nouvelles routes de la soie », tandis que la Russie espère en profiter un peu en jouant les auxiliaires.  Pourtant, leur realpolitik actuelle ne les mettra pas à terme, à l’abri de la visée expansionniste de l’islamisme, et pas seulement en Tchétchénie ou dans le Xinjiang.

Le « réalisme » en matière de relations internationales, s’il est à courte vue, peut en effet s’avérer fort dangereux à long terme. Ainsi en fut-il dans la seconde moitié du 20ème siècle. Sous couvert de l’antagonisme idéologique entre totalitarisme communiste et libéralisme, les deux super puissances de l’époque luttaient en Afghanistan comme ailleurs, pour le leadership mondial. Qu’importait alors aux  « Yankees » d’apporter leur soutien aux dictatures militaires d’Amérique latine ou aux régimes théocratiques du Moyen-Orient qui bafouaient tous, allègrement, les libertés politiques et les droits de l’Homme ?  Qu’importait alors aux Soviétiques de soutenir des dictatures africaines qui n’avaient de communistes que de vagues références ou des régimes qui pactisaient déjà avec un certain islamisme comme en Algérie ou en Egypte ? Qu’importait aux uns et aux autres de s’allier indifféremment et parfois alternativement avec telle ou telle faction islamiste en Afghanistan, au Pakistan, dans les « républiques soviétiques du Caucase et de l’Asie centrale », ou dans le monde arabo-musulman ?

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Ce qu’à l’époque n’ont analysé avec perspicacité ni les Russes ni les Américains, pas plus que les Européens d’ailleurs et notamment pas les Français qui auraient dû le faire étant donné leur force de frappe et leur capacité à se projeter à l’extérieur, c’est la montée de l’islamisme comme nouvelle force combattante pour l’hégémonie mondiale. Et par la suite, rien n’est davantage venu ouvrir les yeux des Russes ni des Américains, sur la puissance polymorphe partout à l’œuvre et qui partout les menace. Ni les années de plomb algériennes par le bras du GIA, armé semble-t-il à ses débuts par la CIA, ni le 11 septembre 2001 et le retournement de Ben Laden contre ses anciens maîtres, pas plus que la répression menée elle aussi au nom du Coran (mais version salafiste contre les Frères musulmans) par le général Al Sissi prétendument « pro-occidental », ou le renforcement de la puissance iranienne et la montée en violence de ses affidés du Hezbollah et du Hamas, et encore l’alliance initiale de Bachar Al Assad avec les islamistes contre les démocrates syriens qui aboutit à la catastrophe. Rien de tout cela ne fait réfléchir plus avant les Européens non plus, eux qui sont également plus dupes que jamais, notamment des proclamations de « laïcité » de l’Autorité palestinienne qui torture dans ses geôles de Ramallah en 2010 le jeune Walid Al Husseini pour cause d’athéisme, ou qui explique en 2017 à sa télévision, comment battre sa femme selon les règles du Coran.

De la révolution politique à la révolution religieuse

Globalement les Occidentaux ne comprennent toujours pas en effet ce qu’est une « révolution religieuse » alors que Daryush Shayegan nous l’expliquait clairement dès 1982 comme une synthèse explosive de tradition (préceptes religieux archaïques, expansionnisme messianique, antijudaïsme et antichristianisme) et de modernité technologique (armement, transport, communication).  Ils ne comprennent pas non plus, malgré les progrès rapides de la réislamisation du monde dit « musulman », que le projet d’islamisation de l’Occident est lui aussi en marche d’un même mouvement.

Car l’islamisme est un mouvement politico-religieux  à visée universelle qui utilise tous les moyens pacifiques et violents pour parvenir à ses fins : dominer les sociétés et prendre le pouvoir politique pour imposer un nouveau totalitarisme fondé sur la charia adaptée s’il le faut en version numérique. L’islamisme est un mouvement polymorphe où des courants divers, parfois concurrents, parfois alliés, convergent cependant tous dans le refus non seulement de la libre pensée bien sûr, et de l’apostasie, mais aussi du libre examen individuel de la foi et du pluralisme des interprétations de la religion musulmane elle-même. Et idéologiquement, quel que soit leur courant, les islamistes s’inscrivent tous en faux contre l’Occident, sa culture, sa démocratie, mais aussi contre toutes les forces qui s’opposent à l’islam. Et cela, tout en adoptant les nouvelles technologies de la modernité et en s’adaptant aux évolutions culturelles les plus récentes. Ainsi l’islamisme s’est approprié le symbole archaïque de la soumission des femmes qu’est le voile, pour en faire l’étendard moderne de sa reconquête politique à travers la revendication identitariste et victimaire propre à notre époque. 

La débâcle des Occidentaux à Kaboul leur fera-t-elle enfin prendre conscience du danger islamiste global ? Les partisans de l’apaisement désarmé contre l’offensive islamiste doivent céder le pas au réarmement moral et à la résistance tant idéologique que géopolitique, c’est-à-dire diplomatique et militaire. La mobilisation en faveur de la liberté d’expression, mais aussi de la laïcité, de la libre pensée et de l’émancipation des individus de tous sexes et de toutes conditions, doit aller en s’amplifiant. Et la solidarité internationale entre ennemis de l’islamisme doit elle aussi s’affirmer avec force. S’impose ainsi le soutien aux intellectuels et aux groupes politiques qui s’opposent à la poussée islamiste dans leurs pays, ainsi que le soutien résolu à Israël, Etat à l’avant-poste de la lutte, et qui subit les attaques de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes du Hamas, incarnation de l’alliance mortifère des Frères musulmans sunnites et du chiisme du régime iranien des mollahs.

L’islamisme ne constitue pas « un bloc » comme a pu le faire l’internationale communiste en son temps, ni un « axe » comme celui que le nazisme érigea autour de lui, mais un vaste réseau dont les vastes connexions sont parfois inattendues et d’autant plus meurtrières. Face au filet et au trident du rétiaire, l’épée et le bouclier, ni même le casque effilé, ne pouvaient vaincre sans l’intelligence et la détermination du secutor dans la contre-offensive. Espérons que l’Occident saura retrouver en lui de telles ressources pour affronter enfin l’islamisme sous toutes ses formes, brutales comme insidieuses. Il n’est que temps !

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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