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« La Chimère » ou l’amour de la beauté perdue


« La Chimère » ou l’amour de la beauté perdue
Josh O’Connor et Alba Rohrwacher, "La Chimère" (2023) de Alice Rohrwacher © Ad Vitam Distrib.

Le dernier film de l’Italienne, Alice Rohrwacher, est une magnifique réflexion sur la beauté pour une époque qui a de plus en plus de mal à comprendre et à apprécier ce qui relève de l’ordre esthétique.


L’art, l’amour, la mort, le rêve, la réalité, la beauté… ces grandes idées éternelles qui ont fait réfléchir tant de philosophes et qui ont inspiré tant d’artistes sont très souvent aux abonnées absentes dans la grande majorité des productions cinématographiques contemporaines – surtout françaises – où la plupart des scénarii sont prévisibles, les dialogues lourdingues à en mourir, surtout quand la vulgarité ne les tire pas encore au plus bas de l’abîme de la médiocrité, et la mise en scène aussi plate que la terre l’était dans la représentation commune d’avant les révolutions copernicienne et galiléenne. Le film, La Chimère, écrit et réalisé par Alice Rohrwacher, échappe à ce constat accablant par l’esthétisme de sa mise en scène, la composition des rôles joués par des acteurs habités par leur personnage et la réflexion qu’il offre aux spectateurs.

Le film s’ouvre sur un plan au format carré où une jeune femme, au visage illuminé par un sourire radieux et le blond vénitien de sa chevelure, apparait telle la Vénus de Botticelli sortie des eaux, puis disparait aussi fugitivement qu’un songe. Le plan suivant au format plus large nous confirme qu’il s’agissait bien d’un songe. Arthur, le héros, dort profondément dans le train qui le ramène chez lui, dans un petit village au bord de la mer Tyrrhénienne où il retrouve sa bande d’amis pilleurs de tombes étrusques. On comprend plus tard que cette jeune fille à laquelle il rêve est sa fiancée qui a disparu… à jamais.

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Cette alternance entre le plan au format « polaroid », symbolisant les songes, et le plan plus large représentant la réalité, rythme le film et permet à la réalisatrice de jouer sur un contraste clair-obscur entre une partie onirique qui est aussi lumineuse et brève que la réalité est poussiéreuse et longue. A travers ce jeu entre le rêve et la réalité se loge le manque imposé par l’absence irrémédiable de la personne aimée. A l’image d’Éros décrit par Diotime dans Le Banquet de Platon comme toujours en quête de ce qui est beau, Arthur est à la recherche de son amour perdu mais aussi de la beauté divine, les deux se confondant et se cachant du regard des vivants.

Comme Éros qui est le daimôn, cet être intermédiaire entre les dieux et les hommes, Arthur s’apparente à un sorcier qui va du profane au sacré. Archéologue de profession, il utilise ses talents de sourcier pour trouver des sépultures où sont enfouis des trésors antiques. Là aussi, la réalisatrice évoque, en filigrane, nos mythes fondateurs qui constituent le socle de notre culture gréco-latine. Dans ses songes, Arthur voit sa bien-aimée tendre un fil rouge comme Ariane dans le labyrinthe. Et comme Orphée qui descend dans l’obscurité des enfers pour retrouver son Eurydice, Arthur descend dans les profondeurs des grottes souterraines à la recherche de son aimée.  

Dans cette quête éperdue dans le royaume des morts, Arthur découvre un sanctuaire érigé pour la déesse des animaux, la statue est intacte et d’une pure beauté. Par appât du gain, sa tête sera tranchée. Mais par amour de la beauté, elle sera sauvée du regard avide des hommes.  « La beauté divine n’est pas faite pour être regardée avec les yeux des hommes » déclare Arthur avant de jeter la tête à la mer où gisent encore et toujours des trésors perdus et oubliés. La sentence d’Arthur a d’autant plus de résonance à l’heure actuelle, où la mondialisation malheureuse avilit tout ce qu’elle touche, que dans les années 80 où se déroule cette histoire qui s’apparente à bien des égards à un conte philosophique.  

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Sommes-nous capables de contempler la beauté quand elle se présente à nous et la méritons-nous ? C’est peut-être une des questions existentielles de cette Chimère.

Quoi qu’il en soit, le temps de ce film, André Malraux aurait trouvé son Musée imaginaire et Sébastien Lapaque quelques baumes pour atténuer sa douleur face à l’immonde décrit dans son dernier roman.

À voir absolument avant qu’il ne disparaisse, comme une chimère, des écrans des cinémas indépendants en voie d’extinction…

La Chimère, d’Alice Rohrwacher, 210 minutes. En salle depuis le 5 décembre.

Ce monde est tellement beau

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