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La chienlit, c’est Sarkozy


Photo : w@madametussaudslondon

Dans cette petite école, la directrice prit sa retraite. Mais verre de l’amitié, discours et cadeaux de départ ne parvinrent pas à masquer la réalité : élèves et enseignants étaient ravis de la voir partir. Là où Madame la Directrice instaurait sans états d’âme une discipline de fer, son successeur avait une tout autre vision des choses et un seul mot à la bouche : La « gestion participative » ! Lors de son intronisation, il déchira théâtralement l’ancien règlement disciplinaire et décréta que le nouveau serait rédigé par les élèves dans le cadre d’une concertation démocratique.

Ce printemps écolier fut de courte durée. Quelques mois plus tard, les parents d’élèves sommaient les autorités de ramener l’ordre dans l’établissement devenu un bateau ivre depuis que retards, injures, cours séchés et bagarres n’y étaient plus sanctionnés. Lesdites autorités imposèrent un nouveau règlement, recensant toutes les interdictions des plus graves aux plus bénignes et établissant le barème des sanctions. Les profs purent à nouveau faire cours, ce qui est peut-être la première vocation de l’école.

Au départ, les mêmes parents s’étaient montrés assez enthousiastes pour ce « projet éducatif ». Abreuvés de conseils psy, certains d’entre eux avaient même tenté d’instaurer au sein de la famille la démocratie et la négociation qui semblaient si chouettes à l’école. Ils ne disaient plus : « Va ranger ta chambre, et plus vite que ça ! », mais « Ne penses-tu pas que, pour toi-même, il serait peut-être bon que tu réorganises ta chambre, selon tes goûts, bien sûr, c’est TA chambre, ton domaine, mais tu y serais plus zen, si… je ne sais pas, moi…. si tu enlevais toutes ces fringues qui jonchent le sol ou si tu mettais tes bouquins dans ta bibliothèque ? » Moyennant quoi l’intéressé décrétait qu’il n’avait pas le temps, devant impérieusement aller à City-Ville. Les parents ayant tenté la démocratie familiale se répartissent en deux catégories : ceux qui sont sous antidépresseurs et ceux qui ont réagi à temps et décrété unilatéralement la fin de l’expérience : « Bon, maintenant, c’est fini, ces conneries ! » [access capability= »lire_inedits »]

Que la démocratie ne soit pas adaptée pour régler les rapports au sein de la famille ou dans une salle de classe, cela semble − ou devrait sembler − évident. De même que le patron d’une aciérie ne convoque pas ses aléseurs-soudeurs-fraiseurs afin qu’ils fixent démocratiquement le montant de leur salaire mensuel et que Mme Lupin, qui gère les hôtesses d’accueil, n’a pas sondé ces demoiselles sur la couleur de leur uniforme. On ne peut pas consulter tout le monde à tout propos, et encore moins hors de propos. Un monde où tout serait négociable et décidé par le principe majoritaire serait irrespirable. Nous n’avons pas été consultés sur le fait qu’un feu rouge signifie : « Arrêtez-vous ! ». Bref, nous baignons dans l’arbitraire et nous nous en accommodons fort bien. À condition toutefois que cet arbitraire soit ressenti comme éclairé, donc que celui qui l’exerce soit perçu comme légitime. C’est bien le problème de Nicolas Sarkozy. Il a définitivement dévalué la fonction présidentielle.

Je l’avoue, je ne trouverais nullement scandaleux que la France adopte un nouveau traité européen sans que les Français soient consultés. À tort ou à raison, Nicolas Sarkozy pense qu’il n’a pas le choix. Même si cela doit peiner ou indigner certains, il arrive parfois qu’il n’y ait pas d’alternative − en tout cas pas d’alternative raisonnable. S’incliner devant le réel n’est pas toujours la marque d’un déplorable esprit munichois. Après tout, on a tellement reproché au Président de tergiverser et de vouloir plaire à tout le monde, bref d’être un faux dur, qu’on pourrait trouver admirable qu’il envoie la démocratie aux pelotes.

L’ennui, c’est qu’on ne passe pas en un tournemain du président « comme tout le monde » ou, plus précisément, du président « people comme les autres  » au pater familias. L’autorité, comme les emplois, ne se décrète pas. Après avoir exhibé sa vie privée et choqué par ses réparties déplacées, Nicolas Sarkozy peut afficher la détermination d’un empereur romain : il n’est plus crédible dans le rôle.
Surtout, on tolérera aisément les infractions à la démocratie si on a la certitude que celui qui les commet sert plutôt qu’il ne se sert. Le général de Gaulle était sourcilleux sur l’utilisation des deniers publics au point de ne pas utiliser le téléphone de l’Élysée pour ses appels personnels. L’historienne Claude Dulong-Sainteny expliqua un jour à Mme de Gaulle que ses enfants partaient aux sports d’hiver avec un groupe organisé par une collectivité[1. La Vie quotidienne à l’Elysée au temps de Charles de Gaulle, Claude Dulong, Hachette.]. « Tante Yvonne » soupira car elle s’y était prise trop tard pour y inscrire ses petits-enfants. Il ne lui vint pas à l’esprit d’user de son statut de « Première dame de France » pour obtenir un privilège, même aussi minime. D’accord, cette sobriété n’est guère en phase avec l’esprit du temps.

Mais le spectacle d’un Nicolas Sarkozy tentant de faire nommer son grand dadais de fils à l’EPAD permet de mesurer la distance qui le sépare de ce prédécesseur dont il continue de se réclamer. On n’imagine pas Monsieur père, clope au bec, mal rasé, en tongs et T-shirt, exiger de sa progéniture qu’elle se tienne convenablement à table. Eh bien, personne ne peut croire qu’un type qui fait son jogging en T-shirt de la police new-yorkaise soit le sauveur de la nation. Peu me chaut que Nicolas Sarkozy soit démocrate. Le problème, c’est qu’il ne soit pas Président.[/access]

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Janvier 2012 . N°43

Article extrait du Magazine Causeur



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Romancière et scénariste belge, critique BD et chroniqueuse presse écrite et radio. Dernier roman: Sophonisbe.

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