Causeur. Ancienne élue UMP du XVIIIe, avez-vous vu le quartier La Chapelle-Pajol se dégrader peu à peu ?
Roxane Decorte. Née à La Chapelle, j’y habite depuis plus de quarante-cinq ans. Si ce quartier populaire est devenu une forme de ghetto qui concentre les difficultés, ce n’est pas un événement brutal mais le résultat d’un processus à l’œuvre depuis des années. En 2001, Philippe Séguin m’a choisie comme colistière gaulliste dans le XVIIIe pour incarner les quartiers populaires qui sont l’âme de Paris, parce que j’avais un profil atypique en politique. J’étais une jeune femme de terrain issue d’un milieu très modeste, boursière de l’Éducation nationale, dans un territoire fracturé, déjà perdu pour la République. Nous avions le sentiment qu’on accepte d’un côté du boulevard Barbès ce qu’on refuse de l’autre côté. À force de concentrer des populations en difficulté, avec le record parisien du nombre de chômeurs et d’allocataires du RSA, on a rendu le bel idéal de mixité sociale impossible à atteindre. Puis, au cours des années, j’ai vu les commerces « s’ethniciser » et le quartier basculer sous la pression « islamisante »…
Concrètement, comment le quartier s’est-il islamisé ?
D’anciennes camarades de classe se sont mises à porter le voile de la tête aux pieds, m’expliquant agir librement et par conviction. Là-bas, une femme candidate part avec un léger handicap. Quand vous rencontrez les recteurs des mosquées du quartier, vous voyez bien que, culturellement, ça leur pose un problème.
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Depuis quelques semaines, les médias ont justement découvert que les femmes n’y étaient pas les bienvenues. Est-ce un phénomène nouveau ?
Pas du tout. Je ne veux ni être dans la surenchère ni dans le déni des problèmes. La forte pression sur les femmes au niveau du métro aérien La Chapelle existait déjà il y a cinq ans. J’observe d’ailleurs les mêmes dérives à Barbès ou à Château-Rouge. On stigmatise les migrants mais cela ne date pas d’hier. La nouveauté, c’est l’arrivée des bobos qui achètent des lofts dans le quartier avec un prix au mètre carré plus intéressant qu’ailleurs, mais découvrent une réalité qui les choque. Je les comprends. Les ghettos de bobos voisinent avec[access capability= »lire_inedits »] les ghettos de pauvres, ce qui correspond aussi à un choix électoral. Globalement, toutes ces populations votent plutôt à gauche… Dans le même temps, l’Ouest parisien est protégé de cette concentration de difficultés.
Nous voici en plein Terra Nova ! En parlant de politique, que fait la ville de Paris ?
La Ville n’a pas attendu la gauche pour agir : le quartier de la Goutte-d’Or est classé en politique de la ville depuis 1983. C’est l’époque de la fameuse phrase de Chirac sur le bruit et l’odeur qui avait fait polémique. Chaque année, avec son adjoint aux finances Alain Juppé, le premier maire de Paris a mis des sommes énormes dans la réhabilitation de la Goutte-d’Or. Pour autant, a-t-on vu les indicateurs socio-économiques et les acquis à l’entrée en sixième des enfants progresser ? Malheureusement non. Il est essentiel qu’un enfant du quartier Chapelle puisse trouver son chemin de la réussite comme un enfant d’un quartier de l’Ouest parisien. Il ne doit pas y avoir de citoyens relégués.
C’est désespérant ! Que faudrait-il faire pour casser les ghettos ?
La clé, c’est évidemment l’école, qui est à la base de tout. Mais pour que l’école de la République puisse jouer son rôle, il doit y avoir mixité sociale. Pourquoi y a-t-il autant d’attente pour avoir une place dans les écoles privées sous contrat du quartier Chapelle ? L’attribution des logements sociaux est le premier levier pour mettre en place une vraie mixité. Un professeur des écoles, une infirmière sont théoriquement éligibles au logement social par le revenu, mais in fine, on le leur attribue rarement.
Pourtant, depuis sa conquête de l’Hôtel de Ville en 2001, la gauche a massivement rénové votre arrondissement…
Absolument. Au risque de vous surprendre, j’ai beaucoup de respect pour le député et ancien maire PS du XVIIIe Daniel Vaillant. Il habite en pleine Goutte-d’Or, ce qui n’est pas le cas de tous les élus. Depuis des années, beaucoup d’investissements et d’efforts d’urbanisme ont été faits. La mairie a considérablement réduit la quantité de logements insalubres. Mais restent des pesanteurs culturelles. J’avais ainsi été choquée lors de l’inauguration d’un local associatif au service des jeunes rue Pajol. Il n’y avait que des jeunes hommes noirs et à peine une ou deux filles. Les choses sont pensées de manière si masculine qu’il y a tout un travail associatif à mener.
Les associations parviennent-elles à changer la mentalité patriarcale des populations immigrées ?
La Chapelle fonctionne par communautés, avec beaucoup de Maghrébins, d’Africains, des Asiatiques et des Indo-Pakistanais. Dans ce contexte, des associations effectuent un travail formidable d’alphabétisation avec les mères d’origine étrangère mais c’est une tache de long terme. Je me souviens de l’inauguration du Café des migrants rue Dejean à Château Rouge. Une très belle initiative que la ville a subventionnée mais… il n’y avait pas de femme le jour de l’ouverture ! On m’a expliqué que dans la culture du Maghreb, les femmes qui fréquentent les cafés ont mauvaise réputation.
Culturellement, certains ne peuvent pas accepter que des femmes déambulent en toute liberté le soir, c’est cela ?
Dans le square Louise-de-Marillac, censé être à la disposition des enfants, on croise des toxicos et toute une population en difficulté. On parle beaucoup des femmes sifflées ou interpellées, mais c’est quelque chose que j’ai toujours connu. Les harceleurs sont peut-être aujourd’hui un peu plus nombreux parce que les vendeurs à la sauvette du métro Château Rouge – actuellement fermé pour rénovation – ont rejoint La Chapelle. Et à partir de 17 heures, sous le métro aérien c’est un gigantesque embouteillage.
Vous approuvez presque Caroline de Haas qui impute aux trottoirs trop étroits les mauvais traitements infligés aux femmes…
La qualité de l’espace public est un élément important dans un secteur dense en terme de populations. Pour autant la rue Doudeauville a été élargie et il y a toujours des problèmes, notamment la présence de prostituées, de consommateurs d’alcool sur la voie publique tard le soir, de vendeurs à la sauvette…
Triste tableau. Dans ce maelstrom, reste-il des traces du vieux Paris ouvrier ?
Mon grand-père y a toujours vécu. Il ne reconnaît plus son quartier populaire. Du coup, il va faire son marché tôt le matin et ne croise que les anciens ou ceux qui partent travailler.[/access]
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