On a beaucoup parlé de la manière dont la cérémonie d’ouverture des JO a semblé blasphémer la religion chrétienne. Ce qu’on n’a pas souligné, c’est combien elle a blasphémé l’esthétique. L’idéal d’un Eros androgyne promu par l’art de Léonard de Vinci a été trahi par l’inculture des défenseurs du transgenrisme. Analyse de Daniel Salvatore Schiffer, auteur d’un livre sur le génie polymathe de la Renaissance italienne.
« M’a-t-on compris ? Dionysos contre le Crucifié… » : telle est l’ultime sentence de Friedrich Nietzsche, l’un des philosophes les plus importants du XIXe siècle, dans son dernier livre, intitulé Ecce Homo, œuvre où, au-delà même de ses accents autobiographiques, il parachève, par l’entremise de ce Dionysos s’opposant ainsi là au Christ, sa virulente critique des valeurs judéo-chrétiennes pour y substituer ce qu’il appelle, au terme de cette morale conçue pour les temps à venir, sa « transmutation des valeurs ». Mais, surtout, une phrase, cette ultime pensée nietzschéenne, qui, à l’heure où les polémiques, sinon l’indignation, abondent au sujet de l’un des tableaux vivants les plus commentés de la cérémonie d’ouverture de ces Jeux Olympiques de Paris, semble résumer, fût-ce inconsciemment, l’esprit, sinon la claire intention, de son directeur artistique, Thomas Jolly, conseillé certes en cela, sur les questions d’ordre plus spécifiquement historiques, par quelques spécialistes, au premier rang desquels émerge Patrick Boucheron.
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Ce tableau – ou plutôt, pour être plus précis, ce double tableau – c’est, bien sûr, la fameuse « Cène » de Léonard de Vinci, l’un des trois grands génies (avec Michel-Ange et Raphaël) de la Renaissance florentine, auquel l’on a joint pour l’occasion, comme en un diptyque inédit, « Le Festin des dieux », datant de 1635, du peintre néerlandais Jan van Bijlert (quoique, pour être tout à fait exact, la première allégorie picturale de cette fête païenne soient en réalité le fait initial, en 1514 déjà, de Giovanni Bellini puis, achevée cinq ans plus tard, du Titien, tous deux artistes majeurs de la Renaissance vénitienne) : une œuvre, aujourd’hui conservée au musée Magnin de Dijon, d’inspiration mythologique (gréco-romaine), célébrant allègrement, au sommet de l’Olympe, les noces de Thétis et de Pélée. Dont acte !
Sauf que, peu de critiques, trop unanimement centrés sur la seule notion de « blasphème », l’ont perçu en profondeur, ce prétendu double tableau de Thomas Jolly manque, par-delà même ses pitoyables fautes de goût sur le plan purement esthétique, l’essentiel, tant dans le fond que dans la forme, y manifestant ainsi une non moins navrante ignorance en la matière.
Quand le culte du beau vire à la culture du laid
La plus flagrante de ces grossières fautes de goût, mais qui témoignent également d’une consternante méconnaissance du sujet prétendument traité là, est, sans conteste, la manière, aussi grotesque que caricaturale, dont Dionysos, dieu grec du vin et du plaisir, y a été représenté, affublé d’une horrible couronne de fleurs synthétiques en guise de parure vestimentaire et peinturluré d’un non moins douteux bleu schtroumpf, par l’inénarrable Philippe Katerine, avec un corps rendu là, par-delà même sa quasi nudité, artificiellement obèse.
Car, loin et même à l’opposé de ce piètre accoutrement, Dionysos, jeune et bel éphèbe, n’avait certes rien à envier, bien au contraire comme le montrent à souhait ses diverses représentations au sein de la statuaire hellénique, à la beauté plastique, en tous points conforme aux canons esthétiques de cetemps-là, de son rival, et complément au sein des divinités athéniennes, Apollon, dieu des arts et de la lumière. Preuve en est, parmi d’innombrables autres représentations, mais néanmoins toujours dans la droite ligne de l’imaginaire alors en vogue au sein de la Renaissance italienne aussi bien que de l’Antiquité grecque, la manière, d’une grâce sans pareille, dont Léonard de Vinci en personne, le magnifique auteur de la précitée « Cène » justement, le dépeint dans sa toute dernière œuvre : un tableau intitulé, précisément, « Bacchus »,nom latin de Dionysos au sein du panthéon romain !
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Ce superbe « Bacchus » léonardesque, assis au milieu d’un paysage idyllique et revêtu d’une peau de léopard, le voici, du reste, tel qu’on peut le contempler à loisir depuis des lustres, mais que les concepteurs de la cérémonie de ces JO de Paris n’ont manifestement jamais vu ni même pris la peine de considérer un tant soit peu, au musée du Louvre lui-même. C’est dire si l’ignorance, de leur part, est là, en cette pénible circonstance, à son triste comble!
Mais il y a plus, encore, en ce « Bacchus » ! C’est qu’il se veut en fait là une variante picturale d’un autre tableau, l’avant dernier, du même Léonard de Vinci : son sublime « Saint Jean-Baptiste » qui, en plus d’être le premier clair-obscur de l’histoire de l’art (près d’un siècle avant Rembrandt ou Le Caravage), s’avère en fait, l’index droit pointé vers le ciel en guise d’appel à la transcendance divine, une figure androgyne et au sourire typiquement, à l’instar de celui donnant vie au visage de sa célébrissime « Joconde », léonardesque lui aussi. Ce « Saint Jean-Baptiste » de toute beauté, d’une grâce quasi angélique, le voici, ici aussi, tel qu’il se donne à voir également, en majesté, au musée du Louvre.
Sur l’androgynie: l’érotisme bisexué des anges
Quant à ceux qui douteraient de son androgynie, qu’ils se reportent alors, en guise d’incontestable preuve en la matière, à son dessin préparatoire (hélas resté injustement méconnu, tant il est objet de censure et même carrément interdit à la vision du public au regard de son caractère particulièrement audacieux sur le plan sexuel), où l’on voit, dessiné au fusain, ce même et très ambigu « Saint Jean-Baptiste », le buste nu, orné de seins de femme et, le sourire ostensiblement malicieux, voire ouvertement provocateur sous son abondante chevelure bouclée, exhibant un long sexe, entièrement nu lui aussi, en érection!
Le titre définitif de cette œuvre ultime, nimbée d’un érotisme hautement transgressif, de Léonard de Vinci, dandy avant la lettre et notoire homosexuel, n’est pas, lui non plus, moins évocateur : « L’ange incarné ». Il est de notoriété publique, en effet, que les anges, bibliquement parlant, n’ont pas de sexe – asexués, donc – ou plutôt, s’ils en ont un, il se doit forcément d’être, contre tout binarisme anthropologique ou lacune physiologique, de nature bisexuée, incorporant ainsi conjointement, afin de mieux comprendre ainsi l’espèce humaine en sa globalité, le masculin et le féminin, eux-mêmes intrinsèques à toute humanité correctement, et surtout totalement, entendue à l’aune, par définition, de l’absolue perfection divine!
Une mise en scène ou, à force d’inclusion, c’est la grâce de l’art qui s’en est trouvée exclue
C’est ainsi que, rapporté cette fois à l’authentique et fameuse « Cène » de Léonard de Vinci, fresque décorant, agencée en une perspective architecturale digne du grand Bramante, le mur frontal du réfectoire de l’ancien couvent milanais de Santa Maria delle Grazie, le Christ lui-même y apparaît lui aussi sous les traits, pour qui sait y regarder de plus près, d’un être bisexué, comme le montre également sans ambages, placé à sa droite (à sa gauche pour les spectateurs que nous sommes), son apôtre préféré, Saint Jean, qui y pose ici, quant à lui, sous la figure, d’une délicatesse infinie, d’une jeune et tendre femme (que certains commentateurs avisés assimilent en outre là, soit dit en passant, à Marie-Madeleine, ex-prostituée que Jésus aima, comme le laissent clairement sous-entendre les Saintes Écritures, d’un amour certes christique, voire divin, mais néanmoins, là aussi, tout humain).
De la culture du blasphème au culte de la vulgarité
Conclusion ? C’est dire si Léonard de Vinci, génie d’entre les génies, était en avance, avec cette divine et très moderne invention du troisième genre – l’androgynie ou même l’hermaphrodisme, ce mythe inhérent à l’Antiquité grecque – sur son temps, et combien donc, dans ce sillage artistique, il avait anticipé ce que les tenants de l’inepte wokisme contemporain, dont les adeptes LGBTQIA+, qui n’ont donc manifestement rien inventé contrairement à ce qu’ils vont prétendant du haut d’on ne sait quelle moraline de bas étage, considèrent aujourd’hui comme un acte de libération majeure!
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Sauf que, trahissant ainsi là les idéaux philosophiques tout autant qu’esthétiques de cette Grèce antique comme de cette Renaissance italienne, ils y ont misérablement ajouté, y prenant la vulgarité des poses pour la liberté des mœurs et la laideur de la forme pour l’originalité du fond, une ignorance à faire tressaillir de honte les authentiques amoureux, un tant soit peu cultivés, du beau en sa plus noble expression.
Bref : une mise en scène, cette « Cène », populiste et démagogique, grandiloquente et lourdingue, confuse et malhabile, tapageuse et tape-à-l’œil, dépourvue de toute élégance formelle comme de tout raffinement intellectuel, de cette grâce qui faisait le génie, suprême signe distinctif, de Léonard de Vinci. Trop peu, ces seuls, faciles et superficiels effets visuels pour dire en profondeur, fût-ce avec la technologie la plus performante, l’âme du monde !
Aussi est-ce peut-être là, précisément, que réside l’unique mais véritable scandale, qui n’avait pourtant rien de blasphématoire religieusement tant elle s’est révélée indigente conceptuellement, de cette cérémonie d’ouverture, inégale à bien des égards, des Jeux Olympiques, édition 2024, de Paris.
Pis : une cérémonie où, à force d’inclusion, c’est l’art lui-même, plus encore que l’universalisme qu’elle prétendait y mettre en valeur, qui, finalement, s’en est donc trouvé là, paradoxalement, exclu !
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